Publications dans Janvier 2006
NOTES POUR UNE HISTOIRE DE GUERRE de GIPI
 

"La ville fut florissante

Puis en ruine

Enfin

Et c'était incroyable

elle fut florissante de nouveau"

Un pays en guerre et troisadolescents perdus dans son champ de bataille. Une vie âpre à laquelle cesderniers font face, chacun à leur manière mais unis. P’tit Calibre le dur àcuire, Christian, obnubilé par ses envies de moto et Julien, “fils à papa”, seuldes trois qui possède encore une famille bien qu’il préfère coller aux basquesde ses copains. Refusant de plier devant la misère, un avenir ou unemploi de mange-pierre, le trio se trouve appâté par un profiteur de guerrequi se propose de « les employer à leur juste valeur ». L’argentafflue et les rêves s’approchent aux portes de la réalité…mais cela peut-ildurer ?

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Appliquant à la lettre la distanciationde Berthold Brecht, Gipi invente une Italiefantastique qui pourrait parfaitement servir de toile de fond à l’une des piècesdu dramaturge allemand (je pense ici beaucoup à L’Irrésistible ascension d’Arturo Ui). La société n’y est plus toutà fait celle que l’on connaît, et pourtant chaque objet y évoque un élémentfamilier. Pays malade, rongé par la corruption et la guerre, le monde selon Gipiest une terre sans promesse pour la jeunesse désoeuvrée. Vraiment, nul besoinde pancarte pour déchiffrer la parabole. Car si la filiation avec une semi-dictaturemoderne n’émerge toujours pas à l’esprit, certains anciens camarades de combat duPrésident Berlusconi traverseront l’arrière-plan pour lever toute ambiguïté (unpeu à la manière des pancartes en fin d’acte chez Brecht, qui viennent retisserles liens entre la pièce et le monde). Et cerise sur le gâteau qui propulsele livre au rang de chef d’oeuvre, même désemparé, Notes pour une histoire de guerre ne renonce à aucun moment à transmettrel’espoir et l’envie de résister.

 
Les caramels rouges
 

Une madeleine de Vlad...

1962-1966 : Pendant qu'outre-manche les Kinks et Syd Barrett préparent la "british invasion", tout emplis de la nostalgie de leur jeux d'enfance sur la pelouse des dimanches, Billy The Kid, le despote enfant et affranchi règne sur deux albums de Lucky Luke et sur le monde des adultes.

Son mets de prédilection : des caramels rouges et ronds...

Pour moi, ces billes c'était l'Ambroisie. Le caramel des humains n'avait pas cette couleur, ni cette forme. Si leur aspect était exceptionnel, quel devait être leur goût ! J'ai relu et relu ces pages avec excès et gourmandise, puis je les ai oubliées... Elles resurgissent quand je vois des caramels, ou à la simple évocation du mot... Mais jamais ne n'ai retrouvé leur saveur.

Lire ou relire Billy The Kid et L'Escorte, albums 20 et 28 de Lucky Luke chez Dupuis.

 
Trondheim à l'Institut Finlandais
 

Par Stéphane

Animant hier soir à l’Institut Finlandais une conférence sur Célébritiz, album de Lewis Trondheim et Ville Ranta aux éditions Dargaud, je rencontrais pour la première fois l’auteur des célèbres carottes. Des années durant j’ai imaginé ce moment que je savais inévitable, gravitant de plus en plus haut dans le monde interlope de l’édition BD. J’allais être face à un homme que l’on décrit comme imbu, prétentieux, ou pire…méprisant. Qu’allais je faire, moi qui avait longtemps cultivé pour son travail une vraie passion, allant jusqu’à l’intégrer comme objet de recherche universitaire dans ma jeunesse (Qui osera dire que les études supérieures ne servent à rien ?). A force de cogiter, j’en étais venu à éprouver une forme d’anesthésie émotionnelle totale. Et c’est presque blasé que j’arrivais ce soir pour animer la conférence. « Avec Lewis, il faut s’attendre à tout ! Soit il fait l’idiot et parasite tout, soit il coopère et se comporte plutôt calmement » me rappela l’éditeur. Un geste gentil, mais à vrai dire à ce stade je m’en fichais, j’étais détaché.

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Quelle erreur de jugement je n’avais pas fait là. Non seulement je redécouvrais un artiste que les quolibets avaient esquinté dans mon cerveau de crétin influençable, mais plus encore un humain complexe, assez plaisant. Lewis répondait aux questions avec beaucoup de tact et d’à propos, détaillant sa petite mécanique créatrice humblement, expliquant par exemple qu’il ne relisait que très rarement ses livres une fois publiés, préférant passer à autre chose une fois ce qu’il avait à dire achevé. Il expliqua aussi ses errances de scénariste, laissant son écriture dériver pour le plaisir de faire réapparaître un personnage, alors que ce n’étais pas prévu, juste parce qu’il est surpris par le dessin que son collaborateur a produit depuis ses indications…. Bref, un agréable moment, riche et didactique, avec un homme qui visiblement renonce à toute reconnaissance sociale pour mieux se concentrer sur ses besoins d’expression.

PS : Et l’album me direz vous… et bien pas terrible. L’esthétique audacieuse de Ville Ranta -entre école de la ligne crade et minimalisme-, et les retrouvailles avec certains thèmes absents depuis belle lurette des livres de Trondheim (la double personnalité, l’homme comme fraude ou usurpateur, l’engagement politico social), ne font pourtant pas décoller cette chronique absurde à laquelle il manque ce soupçon de pertinence et d’audace qui fait la différence, et que l’on trouve notamment dans la série Lapinot auxquels pourrait presque appartenir Célébritiz.

Toute la soirée j'eut le sentiment d'être "the ennemi", comme le disent si bien les rockstars en parlant des journalistes dans le film Presque Célèbre de Caméron Crow

 
Black Hole de Charles Burns
 

Dis, c’est quoi donc maman ce trou noir ?

Au milieu des 70’s, une étrange épidémie se déclare dans une université de la banlieue de Seattle, transmissible par voie sexuelle, et dont les symptômes vont de l’irritation aigue au déploiement d’excroissances inquiétantes. Couvertes de cornes ou queues à l’étrange apparence, les victimes les plus touchées sont tellement déformées qu’elles en deviennent méconnaissables. Est-ce une manifestation métaphorique de leur dépendance, notamment aux drogues circulant en abondance dans les fastueuses « parties » estudiantines ? Où est-ce la réalité ?

Facile d’entrevoir dans ce scénario horrifique une parabole sur le sida, mais clairement Burns ne le souhaite pas. Ces références seraient plutôt à chercher dans les thrillers psychologiques 70's de David Cronenberg, associées à une peur obsessionnel du vagin (très normale après tout) ; nombreux sont en effet les trous noirs dans le livre. Comme dans les films du maître fantastique canadien, Burns développe à certains moments un sentiment presque gynécophobique. Sentiment qu’il estompe en concentrant l’émotion sur les enfants infectés – emportés par la confusion spirituelle d’une époque, entre un mouvement Hippie en déclin, les expérimentation de David Bowie avec la mutation, et une omniprésence dans les rues des drogues et de leurs victimes « méconnaissables ». Dégénérescence du corps et ambiguïté, deux mots d’ordre sublimement communiqués au lecteur par le biais d’un encrage au contraste violent.

 
AAAPOUM BAPOUM !!! Guide de l'utilisateur
 

1. Présentation

Ce précieux guide vous permettra de bien gérer votre fréquentation des boutiques AAAPOUM BAPOUM !!!

1.1 : Caractéristiques des boutiques :

1.1.1 : AAAPOUM BAPOUM DANTE :

- Située au 8 rue Dante, Paris 5e (métro Maubert-Mutualité ou Saint Michel).

- Fermée le dimanche. Ouverte les autres jours de 11h (environ...) à 20h.

- On y trouve surtout des bédés rares ou d'occasion, certaines très chères, d'autres beaucoup plus abordables. La pièce est petite mais on y case un nombre incroyable d'ouvrages. La réserve est plus grande et contient nos trésors cachés.

- Il y règne en permanence un léger désordre apparent, qui est en fait le résultat d'un effort patient et constant de ses occupants.- Froide en hiver, chaude en été, AAAPOUM BAPOUM vit en phase avec son temps.- On y trouve aussi bien de la bédé franco-belge que du manga ou du comics, mais presque toujours en version française.1.1.2 : AAAPOUM BAPOUM SERPENTE :- Située 14 rue Serpente, dans le 6e, Métro Cluny la Sorbonne (ligne 10) ou Saint-Michel (ligne 4). RER B, Saint Michel-Notre Dame.

- Cette librairie est ouverte tous les jours de la semaine et permet de faire ses achats un peu plus tard que dans la rue Dante. 

Lundi et mardi : 11h à 21h

Mercredi à Samedi : 11h à 22h15

Dimanche : 14h à 21h

- ces 120m2 sont consacrés à la bande dessinée sous ses différents aspects. Un bel espace mangas d'occasion... Beaucoup de bandes dessinées franco-belges en occasion. Quelques nouveautés choisies avec soin et en fonction de nos amitiés éditoriales. De la solde de qualité, des livres neufs à prix réduits, quelques défraîchis à prix sacrifiés, des éditions originales soigneusement rangées et empaquetées... Si un amateur vous dit qu'il n'a rien trouvé rue Serpente, c'est soit qu'il est de mauvaise foi, soit qu'il cherchait des articles de sport soit que ce n'est pas un amateur.

1.2 : Précautions d'emploi :

- Les libraires s'efforcent d'être polis et cordiaux, même si le poids de l'expérience à tendance à corroder leur naturel sociable. S'ils ne vous paraissent pas correspondre à cette description, peut-être êtes-vous mal tombé ou peut-être êtes-vous dépourvu de ces caractéristiques...

- Ne pas maltraiter les livres.- Bien observer l'agencement des lieux avant de vous lancer dans des improvisations du genre prendre une bédé dans un rayon pour la replacer dans un autre. Derrière ce qui peut sembler un chaos primal règne un ordre logique.

- Si vous êtes un bavard impénitent, si vous n'avez pas d'amis ou si vous voulez éviter d'aller voir un psy et que vous pensez être tombé au bon endroit, sachez qu'il vous faudra acheter 15 € de marchandises par quart d'heure de discussion.

- Ne JAMAIS tenter d'impressionner le libraire par le nombre de bédés que compte votre collection : il s'en cogne sauf si vous souhaitez lui vendre.

2. Fonctionnement2.1 : Prise en main (20 minutes)

- Commencez par faire un tour dans les bacs  d'occasions extérieurs et sélectionnez quelques albums. N'en prenez pas trop la première fois.- Dîtes bonjour et survolez un peu les divers rayons avec un air respectueux mais pas déférent.

- Posez votre pile sur une surface stable et commencez l'exploration plus précise d'un secteur de votre choix.- Lorsque vous aurez sélectionné une demi-douzaine de titres vous pouvez passer en caisse. Cela suffit pour une première approche.

2.2 : Visite régulière

- Le fond étant renouvelé un peu chaque jour, il vous est conseillé une visite régulière. À vous de fixer votre rythme.- Si vous voulez être sûr de ne rien rater, il vous faudra passer tous les jours...- Si vous voyez deux exemplaires de la même bédé à deux prix différents, ne vous affolez pas, c'est peut-être qu'il sont dans des états différents. S'ils vous semblent équivalents, prenez le moins cher.

2.3 : Recherche précise

- Le mieux est de se laisser tenter au hasard des rayons, néanmoins il vous est possible de venir chercher quelque chose de précis.- Vous pouvez demander une référence au libraire. Si le libraire vous la déniche tant mieux. S'il vous dit qu'il pense ne pas l'avoir, ne désespérez pas, cherchez par vous même. Vous aurez peut-être la surprise de la trouver malgré tout ! En effet, le libraire ne se souvient parfois pas de tout ce qu'il a, ou ne sait pas que son collègue a placé la veille l'objet de vos désirs au fond d'un bac...

2.4 : Liste de recherche

- Dans certains cas, vous pourrez laisser votre numéro ou votre e-mail au libraire afin qu'il vous déniche une référence dans le vaste réseau de ses connaissances commerçantes et bédéïques. Pour être sûr de ne pas être oublié, il est conseillé de venir de temps en temps rappeler votre recherche au bon souvenir du libraire.- Certaines recherches prennent plusieurs années.

- Inutile de demander des titres disponibles sur le marché du neuf.

2.5 : Réservation

- Lorsque vous n'avez pas suffisamment d'argent, mais qu'une pièce vous attire irrésistiblement, vous pouvez la réserver, à CONDITION de verser des arrhes (environ 20% du coût total). Si vous ne revenez pas, ces arrhes seront définitivement perdus (pas pour tout le monde !).

2.6 : Emballages et conditionnement

- Il est prévoyant de venir avec son ou ses sacs pour emporter ses achats, car il ne vous en sera que très rarement donné dans cette boutique où les libraires dissimulent leur pingrerie derrière un voile d'écologisme !- Il est vain d'espérer obtenir un papier cadeau en dehors d'un assemblage occasionnel de feuilles de journaux malhabilement  réunis à l'aide de ruban adhésif.- Vous serez un client fort bien vu si vous faîtes régulièrement don à la boutique des nombreux sacs plastiques qui encombrent le placard sous l'évier de votre cuisine. Par ce geste vous ferez œuvre de charité envers les clients moins prévoyants  qui viennent les mains dans les poches.

3. SAV

Vous pourrez ramener pour échange les titres achetés dans les cas suivants :

- Ce qui vous a été vendu comme une édition originale est en fait une vulgaire réédition. Il faut alors que votre interlocuteur lors de la reprise soit celui auprès de qui vous avez acheté la bédé, et que ce dernier puisse s'assurer qu'il s'agit bien du même ouvrage et qu'il est dans le même état que lors de la vente.

- Un titre vous a  été chaudement recommandé par le libraire et au moment de la vente, ce dernier vous a dit : "si ça ne te plaît pas, je te l'échange". Si vous avez vous-même choisi un produit médiocre, inutile d'essayer de le refourguer par ce biais !

- La reprise et l'échange de pièces au motif d'erreur de liste et de doublons malencontreux n'est plus acceptable. Nous avons jusqu'à peu été bien tolérants. CETTE PÉRIODE EST RÉVOLUE : que certains n'espèrent plus faire passer les éditions originales toutes pourries, trouvées ailleurs à 2€, pour celles qu'ils nous ont achetées dix fois plus cher en parfait état la semaine précédente !

 
The Blacksad's Blackmail
 

Le chantage du Blacksad

par Stéphane

La liberté de la presse, encore un truc que le monde de la Bd a bien du mal à comprendre.

Dernière élégance en date, un clash entre le magazine spécialisé Bulldozer d'un coté, Dargaud et sa série polar Blacksad de l'autre, à cause d'une critique à laquelle j'ai collaboré (chose rare, on l'a écrite à plusieurs).

Rapide rappel des faits : Bulldozer en janvier chronique Blacksad tome 3. Comme d'habitude, on trouve le scénario pourri, entre caricature de polar non voulue et grandiloquence politique à la réflexion d'un enfant de sixième. Bref, on le dit, l'argumente. Évidemment chez Dargaud, qui m'a par le passé déjà mis la tête dans le pâté en réponse à des chroniques peu flatteuses, ça souffle direct dans les bronches de la direction.

Les dessous de l'enquête de Blacksad seraient-ils moins glamour que ce que l'on souhaiterait vous faire croire?

Les dessous de l'enquête de Blacksad seraient-ils moins glamour que ce que l'on souhaiterait vous faire croire?

Et Frédéric Bosser, rédacteur en chef du magazine, mais aussi directeur d’une galerie de bande dessinée, de me rapporter en off qu’il se fait torpiller des deux cotés. François Lebescond, homme à responsabilité chez Dargaud, lui aurait annoncé que ce n’est pas bien de dire du mal de Blacksad, et qu’en réprimande Guarnido avait décidé qu'il pouvait faire une croix sur l'idée d'exposer un jour le dessinateur dans sa galerie.

Un bien dégueulasse chantage, puisqu’il n’y a aucune raison de lier les activités d’un journal et d’une galerie entre elles, sauf si l’on souhaite, à l’aide de tous les moyens à sa disposition même des pires, fermer la gueule des personnes osant faire un travail de critique.

 
Joe Sacco & Irak, second round.
 

Ça devient une habitude.

Pour la seconde année consécutive The London Guardian publie en janvier un reportage de Joe Sacco en Irak.

Impossible de traduire le fichier en ligne pour l'instant, mais les anglophones peuvent télécharger le PDF de huits pages ici.

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Les autres devront attendre et espérer que le journal Libération prennent en charge  la version française, comme il le fit l'année passée.