Publications dans 2006
Pourquoi ne pas aimer Batman begins
 

Par Stéphane (et Vlad par procuration vu que c'est lui qui éveilla chez moi cette réflexion).

Parce que les Hoolywoodiens sont si cons que pour eux, tous les jaunes se ressemblent -mon dieu quelle connerie, ces ninjas qui peuplent L'Himalaya- et le moindre des paysans des montagnes y parle anglais.

Parce que Bruce Wayne voudrait être sale et trouble comme dans un bon Burton, mais n'y arrive pas (son plus grand crime, se voler à lui même...).

Parce qu’une scène d’action mérite un peu de virtuosité pour épater, et Nolan est une tanche qui ne connaît rien au montage (même s’il photographie bien).

Mais surtout… à lire dans la suite

Le film n’apporte rien, mais rien du tout, à Year one, comics fondateur du mythe de Batman dont est tiré ce nanard. Nolan se dirige même à contre-courant de l’image que Frank Miller a tenté de mettre en place dans le comics américain. Pas cette nouvelle facette humanisé, souvent le verni  moderne que lecteurs et spectateur retiennent. Sur ce point pas de problème, le film respecte le style Miller et l’enrichit même de deux trois idées astucieuses. En revanche le film annihile totalement le combat  de Miller (et celui d’Alan Moore par la même occasion) pour la représentation dans le comics américain d’un monde plus réaliste et moins américanocentré.

Hors, en intervertissant avec allégresse chinois et japonais sous prétexte qu’ils sont jaunes, et que donc personne ne fera la différence, Nolan méprise l’immense passion de Miller pour l’Asie, ses peuples et ses coutumes, et plus grave, dédaigne aussi les populations, qui en aucun cas ne sont interchangeables. Mais ça, je pense que le spectateur s’en fout, il trouve ça joli les ninjas qui sautillent dans les déserts glacés. Ça fait classe, donc nul besoin de se demander comment une telle image est produite, ni ce qu’elle véhicule comme message (au passage ici un profond mépris).

Pire, en transformant le leader de ce groupe de ninjas Himalayens (arfarfarf !!!), le démonique Raz al Gul, en blanc (alors qu’il est bel et bien asiatique dans la BD), il tombe dans le plus vieux des clichés racistes américains, de ceux sur lesquels Frank Miller cracha abondamment lorsqu’il commença la bd : l'icone de l'occidental blanc par nature capable d’apprendre et maîtriser tous enseignements ou domaines, pour finalement surpasser les maîtres du tiers-monde qui les dispensent. Ça lui aurait arraché le cul qu’un asiatique soit meilleur qu’un américain… Frank Miller, lui, cela ne le gênait pas, au contraire il semblait même le penser, à relire ses Serval, ses rônins, ses Daredevil…. Mais bon, cela n’embarrasse apparemment pas le spectateur avide de divertissements, qui ne souhaite pas décortiquer le monde donné à voir. Après tout, l’important dans Batman, c’est comment il fabrique son costume.

 
Les terribles taches
 

Où comment naît la vocation.

Par Stéphane

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Attiré par le mal comme tout les enfants, j’en étais venu à vouer une admiration sans borne pour le fantôme noir, ce terrible ennemi de Mickey qui signait ses forfaits d’une indélébile tache noire. J’étais fasciné, non par son génie diabolique, mais par cette indécrottable manie de souiller.

C’est qu’à cette époque les salissures, plus encore le dessin sur les murs de ma chambre, me sont interdits. Ma mère comme elle le fera des années durant s’applique de nombreuses heures au ménage, à briquer, brosser, avec un ascétisme et une énergie qui, cela demeure encore vrai, confine un peu à la folie.

Je scrutais ces petites macules noirs dans mes bandes dessinées et reconnaissait dans le regard de Mickey, lorsqu’il devait tomber sur l‘une d’entre elles, le désespoir quotidien de ma mère. J’ai ainsi de nombreux mois dessiné sur le mur derrière la porte de ma chambre, à l’abris de la justice, jusqu’à me faire prendre un beau matin.

Ce jour là, je retrouvais dans les yeux de ma mère ce petit quelque chose de Mickey, et en moi  s'étirait un petit sourire intérieur de fantôme noir.

 
Delcourt : le deuil du noir
 

"Ceux qui sont dans le vent auront un destin de feuilles mortes"

par Vlad

Je n'ai jamais bien compris l'aura de prestige dont jouissaient les éditions Delcourt auprès d'une certaine frange pourtant exigeante du lectorat. En effet pour une série comme De cape et de crocs ou Le pouvoir des innocents, combien de produits strictement commerciaux, formatés selon les critères de divertissement les plus prévisibles.


J'ai toujours soupçonné cette respectabilité d'être due à la sobre élégance des maquettes et particulièrement des dos noirs. Formule inchangée depuis plus de dix ans. Alors que ses confrères, Soleil et Humanos en tête, s'affrontaient à coup de maquettistes débridés et interchangeables, maniant la transparence et la sur typographie comme d'autres la chantilly, Monsieur Delcourt  maintenait son port altier et sobre pour se distinguer des maquignons. Imagine-t-on la Pléïade de Gallimard se mettre au goût du jour à chaque décennie ?
Heureusement cette période de tromperie est révolue ! L'usurpation va être démasquée !


Les dos noirs appartiennent désormais au passé.


Cette nouvelle bien tangible sur le dernier De cape ou sur la suite d'Okko désespèrent nos collectionneurs. Et bien moi je m'en réjouis ! Désormais la forme du contenant correspondra un peu plus au contenu.


La vérité est toujours révolutionnaire.

 
Hommage à T.G.
 

Le discret madame Soleil de la BD

Par Stéphane

Il y a dix onze ans, j'achète pour un ami une statue Tintin abîmé et en solde à la librairie Glénat. Dehors, à coté de l'étalage, le vendeur me fait un vague sourire et m'ignore, se moque un peu aussi. En fait il drague ma meuf à mort, en me méprisant totalement. Ce connard, c'est Thomas Gabison, un illustre inconnu.

L'année suivante, je commence un job étudiant de vendeur dans une librairie Album. Thomas Gabison devient mon collègue. Le premier jour, il me regarde et me dit en souriant: " Hé, je me souviens de toi, elle est mignonne ta copine". Toujours un connard en bref.

Peu de temps après, quelques jours disons, il reluque les livres que j'emprunte et me lance fierement :" Toi, tu ne lirais pas un ptit peu trop de merdes. Suis moi mon grand, je vais te montrer un truc mieux" (je résume très peu en fait). Il me tend alors Le petit monde du Golem, d'un autre illustre inconnu qui s'appelle Joann Sfar, et me dis:"Tu verras, ça, c'est de la balle". Dépité, je réponds "T'es trop fou toi, son dessin c'est trop de la merde". Les années suivantes, j'ai vu mille et mille fois Thomas Gabison à la caisse dialoguer avec les clients et leur tendre des livres un peu plus consistants. Souvent, ils réagissaient un peu comme moi même j'avais réagi quelques temps plus tôt. Sauf que moi, il commençait sérieusement à me convertir à ses idées.

Encore bien des années plus tard, cela fera bientôt deux ans pour être précis, Thomas Gabison sautille en m'annoncant " Stéphane, Stéphane, j'ai découvert un nouvel auteur, un italien un bijou, tu ne vas pas le croire". Il m'ouvre le livre et je tombe sur le cul. C'est que Thomas Gabison a fort bien réussi mon éducation pendant ces dix ans, vous savez.

Janvier 2005, alors que Thomas Gabison vient de se faire engager comme éditeur pour lancer une collection de bandes dessinées chez Actes Sud, ce livre est le premier qu'il édite. L'album s'appelle Notes pour une histoire de Guerre, et son auteur c'est Gipi.

Ce soir, à peine un an après cet événement, Joann Sfar est depuis longtemps devenu une star, et Thomas Gabison, pour sa part, décroche le Prix du meilleur Album 2005 au festival international de la bande dessinée d'Angoulême, en tant qu’éditeur pour le livre de Gipi, leur premier album à tous les deux.

Alors ce soir est le parfait soir pour rendre un petit hommage Thomas Gabison. Ne change  jamais, t'es fort comme un Paco Rabanne de la BD qui n'a jamais eu tort, même s’il t’arrive encore de passer pour un connard quand tu dragues les copines des clients le dimanche en ma compagnie (car il m'a appris ça aussi).

 
Le Tsunami du mardi
 

Par Stéphane

Mardi, non moins de 40 nouveautés sont apparues d'un coup chez les libraires de bande dessinée. Et encore je ne compte pas les mangas, eux aussi débarquant en grand nombre le même jour. Concrètement, en prenant l'exemple de mes voisins la librairie Album (pas le cagibi du coin niveau taille), c'est l'espace dédié aux nouveautés en entier qui fut réorganisé. C'est à dire que les livres parus la semaine précédente ne sont déjà plus à l'affiche, même les grosses pointures sont rangées à l'ombre des rayons.

Lorsque l'on pense aux râleurs qui se plaignent du rétrécissement de la durée de programmations dés films en salle, que devraient dire les lecteurs de bande dessinée, si même les blockbuster de papier ne tiennent plus une semaine le haut de l'affiche ?  C'est dire aussi la difficulté pour le bédéphile lambda à choisir correctement ses lectures, lui qui n'aura désormais l'occasion de ne voir qu'une nouveauté sur trois, au mieux, et encore s'il passe au minimum entre deux et trois fois par mois dans son échoppe favorite.

Alors comment faire pour choisir aujourd'hui? Tous ses livres sont-ils nécessaires ?

 
Tu veux mon doigt ?
 

Souvenez vous, une bande de bambins déchainés accroupis tels des dalmatiens devant la télévision le mercredi après midi. Face à eux, un homme, un vrai, musclé, en clou et en cuir, qui plante à tout bout de champs ses gros doigts dans la chair saillante de ses ennemis en balançant un terrible "je vais te prendre le fi... ", excusez moi je me suis trompé. En balançant donc un terrible "tu vas mourir dans trente secondes".

Beh ouais les gars, Ken revient, et il est pas content (un peu facile je vous l'accorde). Un grand film (cinéma me semble-til) se prépare au Japon et, pour tous nostalgiques qui se respectent, un petit tour sur le site pour admirer les bandes annonces (cliquer sur l'onglet trailers en anglais) est franchement conseillé.

Ouah, il est trop fort ce Ken.

 
NOTES POUR UNE HISTOIRE DE GUERRE de GIPI
 

"La ville fut florissante

Puis en ruine

Enfin

Et c'était incroyable

elle fut florissante de nouveau"

Un pays en guerre et troisadolescents perdus dans son champ de bataille. Une vie âpre à laquelle cesderniers font face, chacun à leur manière mais unis. P’tit Calibre le dur àcuire, Christian, obnubilé par ses envies de moto et Julien, “fils à papa”, seuldes trois qui possède encore une famille bien qu’il préfère coller aux basquesde ses copains. Refusant de plier devant la misère, un avenir ou unemploi de mange-pierre, le trio se trouve appâté par un profiteur de guerrequi se propose de « les employer à leur juste valeur ». L’argentafflue et les rêves s’approchent aux portes de la réalité…mais cela peut-ildurer ?

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Appliquant à la lettre la distanciationde Berthold Brecht, Gipi invente une Italiefantastique qui pourrait parfaitement servir de toile de fond à l’une des piècesdu dramaturge allemand (je pense ici beaucoup à L’Irrésistible ascension d’Arturo Ui). La société n’y est plus toutà fait celle que l’on connaît, et pourtant chaque objet y évoque un élémentfamilier. Pays malade, rongé par la corruption et la guerre, le monde selon Gipiest une terre sans promesse pour la jeunesse désoeuvrée. Vraiment, nul besoinde pancarte pour déchiffrer la parabole. Car si la filiation avec une semi-dictaturemoderne n’émerge toujours pas à l’esprit, certains anciens camarades de combat duPrésident Berlusconi traverseront l’arrière-plan pour lever toute ambiguïté (unpeu à la manière des pancartes en fin d’acte chez Brecht, qui viennent retisserles liens entre la pièce et le monde). Et cerise sur le gâteau qui propulsele livre au rang de chef d’oeuvre, même désemparé, Notes pour une histoire de guerre ne renonce à aucun moment à transmettrel’espoir et l’envie de résister.

 
Les caramels rouges
 

Une madeleine de Vlad...

1962-1966 : Pendant qu'outre-manche les Kinks et Syd Barrett préparent la "british invasion", tout emplis de la nostalgie de leur jeux d'enfance sur la pelouse des dimanches, Billy The Kid, le despote enfant et affranchi règne sur deux albums de Lucky Luke et sur le monde des adultes.

Son mets de prédilection : des caramels rouges et ronds...

Pour moi, ces billes c'était l'Ambroisie. Le caramel des humains n'avait pas cette couleur, ni cette forme. Si leur aspect était exceptionnel, quel devait être leur goût ! J'ai relu et relu ces pages avec excès et gourmandise, puis je les ai oubliées... Elles resurgissent quand je vois des caramels, ou à la simple évocation du mot... Mais jamais ne n'ai retrouvé leur saveur.

Lire ou relire Billy The Kid et L'Escorte, albums 20 et 28 de Lucky Luke chez Dupuis.

 
Trondheim à l'Institut Finlandais
 

Par Stéphane

Animant hier soir à l’Institut Finlandais une conférence sur Célébritiz, album de Lewis Trondheim et Ville Ranta aux éditions Dargaud, je rencontrais pour la première fois l’auteur des célèbres carottes. Des années durant j’ai imaginé ce moment que je savais inévitable, gravitant de plus en plus haut dans le monde interlope de l’édition BD. J’allais être face à un homme que l’on décrit comme imbu, prétentieux, ou pire…méprisant. Qu’allais je faire, moi qui avait longtemps cultivé pour son travail une vraie passion, allant jusqu’à l’intégrer comme objet de recherche universitaire dans ma jeunesse (Qui osera dire que les études supérieures ne servent à rien ?). A force de cogiter, j’en étais venu à éprouver une forme d’anesthésie émotionnelle totale. Et c’est presque blasé que j’arrivais ce soir pour animer la conférence. « Avec Lewis, il faut s’attendre à tout ! Soit il fait l’idiot et parasite tout, soit il coopère et se comporte plutôt calmement » me rappela l’éditeur. Un geste gentil, mais à vrai dire à ce stade je m’en fichais, j’étais détaché.

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Quelle erreur de jugement je n’avais pas fait là. Non seulement je redécouvrais un artiste que les quolibets avaient esquinté dans mon cerveau de crétin influençable, mais plus encore un humain complexe, assez plaisant. Lewis répondait aux questions avec beaucoup de tact et d’à propos, détaillant sa petite mécanique créatrice humblement, expliquant par exemple qu’il ne relisait que très rarement ses livres une fois publiés, préférant passer à autre chose une fois ce qu’il avait à dire achevé. Il expliqua aussi ses errances de scénariste, laissant son écriture dériver pour le plaisir de faire réapparaître un personnage, alors que ce n’étais pas prévu, juste parce qu’il est surpris par le dessin que son collaborateur a produit depuis ses indications…. Bref, un agréable moment, riche et didactique, avec un homme qui visiblement renonce à toute reconnaissance sociale pour mieux se concentrer sur ses besoins d’expression.

PS : Et l’album me direz vous… et bien pas terrible. L’esthétique audacieuse de Ville Ranta -entre école de la ligne crade et minimalisme-, et les retrouvailles avec certains thèmes absents depuis belle lurette des livres de Trondheim (la double personnalité, l’homme comme fraude ou usurpateur, l’engagement politico social), ne font pourtant pas décoller cette chronique absurde à laquelle il manque ce soupçon de pertinence et d’audace qui fait la différence, et que l’on trouve notamment dans la série Lapinot auxquels pourrait presque appartenir Célébritiz.

Toute la soirée j'eut le sentiment d'être "the ennemi", comme le disent si bien les rockstars en parlant des journalistes dans le film Presque Célèbre de Caméron Crow

 
Black Hole de Charles Burns
 

Dis, c’est quoi donc maman ce trou noir ?

Au milieu des 70’s, une étrange épidémie se déclare dans une université de la banlieue de Seattle, transmissible par voie sexuelle, et dont les symptômes vont de l’irritation aigue au déploiement d’excroissances inquiétantes. Couvertes de cornes ou queues à l’étrange apparence, les victimes les plus touchées sont tellement déformées qu’elles en deviennent méconnaissables. Est-ce une manifestation métaphorique de leur dépendance, notamment aux drogues circulant en abondance dans les fastueuses « parties » estudiantines ? Où est-ce la réalité ?

Facile d’entrevoir dans ce scénario horrifique une parabole sur le sida, mais clairement Burns ne le souhaite pas. Ces références seraient plutôt à chercher dans les thrillers psychologiques 70's de David Cronenberg, associées à une peur obsessionnel du vagin (très normale après tout) ; nombreux sont en effet les trous noirs dans le livre. Comme dans les films du maître fantastique canadien, Burns développe à certains moments un sentiment presque gynécophobique. Sentiment qu’il estompe en concentrant l’émotion sur les enfants infectés – emportés par la confusion spirituelle d’une époque, entre un mouvement Hippie en déclin, les expérimentation de David Bowie avec la mutation, et une omniprésence dans les rues des drogues et de leurs victimes « méconnaissables ». Dégénérescence du corps et ambiguïté, deux mots d’ordre sublimement communiqués au lecteur par le biais d’un encrage au contraste violent.