Publications dans BD européenne
INTERVIEW DE TARDI SUR STALAG2B
 

Jacques Tardi revient à la peinture des ravages de la guerre. Mais cette fois-ci, il marche sur les traces de son père, soldat enragé par la défaite de 1939 et brisé par 5 ans de détention dans un Stalag. Commence une longue promenade pour un paternel arc-bouté sur sa colère et un enfant déconcerté, le long d’un paysage suspendu dans le temps, jonché de cadavres de chars éventrés et de maisons ébranlées, qui se termine dans les baraquement des camps de détention. Une œuvre personnelle, d’une beauté sidérante et crépusculaire, qui livre enfin certaines des clés de l’œuvre de Jacques Tardi

C’est un projet qui remonte de longue date ?

Enfant, mon père évoquait au quotidien la seconde guerre mondiale et sa détention. Une multitude d’anecdotes impossibles à raccorder. Il m’apparaissait alors, non pas aigri, mais en perpétuelle colère et nos relations en pâtissaient. Au début des années 80, pour remettre un peu d’ordre dans ce passé, je lui ai demandé de consigner sa vie par écrit. Il remplit alors trois cahiers d’écolier. Lorsque les mots ne suffisaient pas, il les complétait de dessins. Je l’ai lu et j’ai su qu’il y avait un récit à en tirer. Mais j’ai laissé ces trois cahiers de coté dans une boite, avec des photos d’époque. Et puis mon père est décédé, en 1986, six ans après.  Il y a quatre ans, je les ai repris avec l’idée d’en faire un livre. J’ai fait retranscrire les cahiers à la machine pour qu’ils soient plus lisibles. Pendant ce temps là j’ai réalisé quelques adaptations de Jean-Patrick Manchette, puis je m’y suis remis il y a un an en me disant qu’il était temps pour moi d’en finir avec cette histoire là.

Au début, ce devait faire un volume, mais en définitive il en comptera deux ?

Oui car j’ai envie de poursuivre avec le récit de son retour. Le premier tome s’étend de l’ouverture du conflit en 1939 à l’évacuation des camps, en 1945. Le second volume parlera, lui, du trajet du camp de Czarne, en Pologne, jusqu’à Lille, à l’issue du conflit. C’est un périple de cinq mois jonchés d’embuches dont il ne me reste que le journal de l’époque de mon père. Un journal assez pragmatique, nourri d’éléments factuels dans lequel on ressent surtout l’obsession de la faim. Ce qui m’intéresse, c‘est que mon père, à son retour, reste dans l’armé. Le monde a trop changé en son absence et il n’a pas fait d ‘étude. Il retourne donc en tant que militaire dans l’Allemagne occupée, durant les années 50. Une époque étrange que j’ai connue, avec des bâtiments aux façades éventrées, des baignoires qui pendent aux fenêtres et, en même temps, une économie allemande qui repart plus vite que la française. Mon père s’achète sa première voiture Volkswagen, ma mère un réfrigérateur qu’elle présente à ses voisines françaises à notre retour en France car elles en sont restées aux glacières avec des pains de glace. Ce retour à la prospérité plus rapide de l’Allemagne ulcère mon père.

La guerre, la colère, la révolte contre les institutions… que de thèmes qui nourrissent votre écriture depuis les prémices. Y-a-t-il une volonté de livrer les clés de votre œuvre ?

L’idée ce n’était pas forcément de donner des clés sur mon œuvre. Mais c’est vrai que la guerre empoissait mon enfance et j’aurais préféré qu’on parle d’autre chose. Ce sujet m’a abruti. Je n’ai jamais vu mon père lire autre chose que des livres sur la seconde guerre mondiale. Pareil au cinéma, les films qu’il me montrait me terrorisaient, tel Les diables de Guadalcanal de Nicholas Ray. Ce que je veux faire comprendre, à travers ce livre, c’est cette ambiance dans laquelle j’ai grandi, les mentalités qu’elles ont produites. Un esprit un peu revanchard, patriote qui refusait que ma génération apprenne l’allemand à l’école, ou qui explique que ma belle mère ait toujours eu peur de croiser le soldat qui a tué son mari lorsqu’elle nous rendait visite en Allemagne. Une atmosphère qui entretenait les hargnes et même les haines et qui m’a profondément marqué.

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Pourquoi vous êtes-vous représenté enfant, alors que vous n’étiez pas né ?

Vivre avec un type comme ça, d’autant plus quand on est fils unique, n’était pas toujours facile. Vers 17 ans, j’enrageais qu’il soit militaire, je ne comprenais pas et le dialogue était impossible. Du coup, j’ai quitté très tôt le foyer. Ce double ectoplasme, au début du récit, exprime probablement mon désir de créer le dialogue que je n’ai pas eu le temps d’entamer avec lui. Mais ça ne suffit pas. Aujourd’hui, même avec les cahiers, tant de détails me manquent. Par exemple, lorsqu’il me dit que ma mère lui a envoyé de quoi s’évader, comment a-t-elle deviné son projet ? Comment ont-il communiqué ? Je ne peux que conjecturer car je ne lui ai jamais posées ces questions. Tant de réponses me manquent que je le regrette amèrement. Ma mère est vivante mais ne se souvient plus.

Face aux manques, avez-vous comblé ou réinterprété son témoignage ?

Non, je suis resté fidèle. Mon père était précis donc je lui fais totalement confiance quant à l’exactitude. Je réinterprète ses dessins au plus près possible, de même que je replace son expérience personnelle dans un contexte plus large car, dans ses cahiers,  il se décrit lui-même dans une espèce de masse, où tout le monde est pris en photo avec un numéro. Je laisse de l’espace aux moments qui l’ont le plus choqué, comme la mort de son ami Chardonnet. Et si le Stalag IIB était réputé pour être une prison particulièrement dure, je ne montre pas les actes violents dont il a été victime, puisqu’il élude le sujet. Il évoque plutôt les russes et les polonais, qu’il dépeint comme les plus malheureux. Il ne centre pas son récit autour de son expérience personnelle, du coup moi-même j’ai replacé cette parole et cette présence au cœur d’un cadre beaucoup plus large.

Repasser par dessus les croquis de son père doit être touchant. D’ailleurs, on sent l’influence de votre père sur votre personnalité.

Quand il voulait expliquer quelque chose et que les mots étaient insuffisants, mon père dessinait toujours. Moi j’ai hérité de ça. Aujourd’hui, je vois la forme de maladresse et de naïveté qu’il y a dans son trait. Mais j’appréciais tellement, quand j’étais gamin, les moments où il dessinait pour moi. Non seulement il était toujours très précis, et son dessin obéissait à une logique. Lorsqu’il crayonnait une locomotive, il commençait par les rails, puis installait les éléments un à un avec logique, puis la dernière chose qu’il ajoutait, c’était la fumée. J’en ai vraiment retenu l’idée que certains mécanismes ne peuvent pas être correctement représentés si l’on ne comprend pas le fonctionnement et l’agencement.

Mais je me rends compte que je n’ai pas hérité que de ça. Ma préoccupation de la précision dans le dessin répond aux années où je l’observait dans son sous-sol recommencer 15 fois les même pièces des mécaniques qu’il fabriquait parce qu’elles n’étaient pas au point. De même que la hargne à l’égard de l’administration m’a été transmise à force de le voir râler parce que les munitions qui arrivaient n’étaient pas compatibles avec les fusils du régiment, ou parce que certains paysans avaient profité de la misère durant la guerre.

Justement, comment s’exprime chez vous cette angoisse de la précision qui vous caractérise ?

J’ai horreur des approximations. Par exemple, les représentations de poilus qui partent au front en 1914 habillés en bleu horizon me font bondir. Ces soldats furent envoyés en pantalon rouge, en plein été, or c’est ce déguisement qui explique les carnages à venir. Je n’aime pas Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick pour ces raisons. Evidemment, le fond prime, mais l’exactitude consolide l’histoire, elle l’explique et la raconte également à sa manière. Ce pantalon rouge en est l’exemple le plus évident, mais il faut savoir que ces soldats portent 20 kilos sur le dos, pour les dessiner courbés. Que leurs chaussures pèsent un poids fou, et qu’ils n’ont pas forcément beaucoup de chaussettes car l’armé Française n’en fournit pas.

Dans Laurence D’Arabie, de David Lean, la documentation est en place et nourrit la mise en scène. Emmanuel Guibert, en bande dessinée, utilise beaucoup de blanc, mais tout ce qu’il dessine est précis. C’est ça que j’aime. Moi, je suis peut-être un extrémiste de l’exactitude. Pour tout dire, il m’est arrivé de sucrer une scène complète d’une aventure d’Adèle Blanc sec car je n’avais pas la documentation nécessaire pour dessiner la porte d’époque du musée Grévin. C’est un peu extrême comme réaction, puisqu’au fond je pouvais contourner le problème sans conséquence pour le récit. Mais c’est quand même ce que j’ai fait.

Supplément en vrac pour mes amis.

J’ai compris à son décès que cette rancœur plongeait ses racines dans sa jeunesse. Il est fait prisonnier à 25 ans, alors qu’il vient de se marier quelques années plus tôt et de s’engager dans l’armée suite aux rumeurs de guerre. Probablement, aussi, pour échapper à un père colérique qui a fait la première guerre mondiale. La vingtaine lui a été volée, et il finit dans un endroit sinistre. Quelques minutes avant sa mort, il parle encore de son char au bord d’un canal, il raconte comment il change d’obus, écrase les soldats allemands. Voilà les évènements les plus intenses de sa vie. Engagé en 1937 suite aux rumeurs de guerre à venir, il fait sa préparation militaire alors qu’il est au collège. L’idée, à l’époque, c’est que l’armée française est invincible. D’où l’insurmontable déception à venir, le plus grands mépris contre les officiers et les gradés, un militaire quasiment antimilitariste. Je n’arrive pas à expliquer qu’il ait rempilé autrement que par manque d’énergie et abattement résultant de 5 ans de captivité. A leur retour, ces prisonniers ont découvert l’existence de la résistance, du marché noir, des déportés. Eux, perdus dans le marasme de ces évènements, donnent l’impression de revenir d’un camp de vacances et n’osent pas ouvrir leur gueule. Tant que possible, ils reprennent simplement leur existence dans le civil.

Et personne n’a vraiment témoigné de leur condition. Ou alors sur le ton de la rigolade. C’est La vache et le prisonnier ou Le colonel Blimp de Billy Wilder. Ne parlons pas de La Grande évasion qui instrumentalise une histoire vraie pour transformer les américains en leaders et en héros. Ceci dit, malgré ce cinéma patriotique, mon père va garder une profonde admiration pour les américains car ils ont continué la guerre. Mes premiers biberons ont été fait avec du lait en poudre qui arrivait directement des Etats-Unis.

Dans le second volume, vous allez pouvoir compléter avec vos souvenirs d’enfance.

Ma scolarisation en Allemagne baignait dans une étrange atmosphère. Un décor de ruines, des rails de tramway tordues, des barbelés partout, des allemands perpétuellement équipés de sacs à dos en cas d’arrivage surprise de patate ou de papier cul. Les enfants jouaient dans les ruines, descendaient dans les mines, les trous, les caves, et un jour, un ami s’est fait arraché un bras par une grenade. Quand il est revenu à l’école, on était tous perturbés. C’est également l’époque des premiers flippers, de la police militaire omniprésente dans les rues, des courses à l’Economa, ce magasin spécialisé pour l’armée. C’est l’atmosphère du Troisième homme de Caroll Reed, les russes qui attaquent sous peu, une jeep américaine qui rentre dans une vitrine car les conducteurs sont ivres, des voitures avec des carrosseries en carton car il n’y a pas assez de métal. Je vais témoigner de ça dans le prochain volume. De notre appartement assez luxueux qu’on partage avec une autre famille de bidasse qui a un enfant comme moi. De ces longues séances où lui et moi arrachons les pages des livres reliés cuir de la bibliothèque du salon pour en faire des avions que l’on jette par dessus le balcon et que le pauvre pharmacien allemand du rez-de-chaussée passe son temps à balayer sans oser broncher- la plupart des allemands faisaient vraiment profil bas. De ce jour où  l’on m’a installé dans un char pour faire un tour et de l’immense peur que j’ai ressenti alors, des minutes qui ont suivi à chercher mon père accompagné d’un bidasse avant que je le retrouve sous les combles de la caserne en train de jouer avec un petit train électrique qu’il avait installé, avec un officier.

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Ce récit reprend en partie la structure en trois bandes de « C’était la guerre des tranchées ». C’est une forme qui vous sied en quoi ?

Les récits de guerre ne sont pas comme ceux de Manchette, où ça bouge. Je n’ai pas besoin de faire appel à des changements de points de vue, à des champs/contrechamps. D’une manière générale, je ne veux pas y souligner l’action, je préfère montrer les résultats, les destructions du matériel et des hommes plus que les affrontements. Contrairement à la guerre 14 18, pour la seconde guerre mondiale, j’ai très peu de documentation. Quelques photos floues. Et sur le Stalag IIB, à part quelques photos aériennes, on ne trouve pas grand chose. Ce manque de documentation m’a obligé à négocier avec le dessin. Pour l’intérieur des baraquements, heureusement mon père m’avait fait des croquis, et j’avais des photos.

Jacques Tardi et S; ,en exclu partielle .

Vous trouverez rue Dante de quoi vous plonger dans la guerre selon Tardi avec des Tirages de tête du Cri du peuple. Rue Serpente, vous pourriez vous amuser à deviner où aurait du se trouver la scène coupé du musée Grévin grâce à un vieux coffret 7T des aventures d'Adèle Blanc-sec. Dans les deux cas, il faudra attendre encore un peu pour pouvoir feuilleter Moi René Tardi...

 
PEPE DE CARLOS GIMÉNEZ
 

Il existe parfois de tels écarts entre deux avis que la contemplation de ce gouffre vertigineux laisse à penser que ceux qui se tiennent sur l'autre bord ne viennent pas de la même planète. Je sais bien que ceux qui ne sont pas d'accord avec moi ne sont pas d'un autre monde, mais penser ainsi m'évite tout emportement.

Ainsi, il y a quelques jours une cliente cherche un cadeau pour un ami qui prépare une thèse sur "l'identité LGBT sous le franquisme". Je ne me formalise pas de la formule LGBT, qui m'agace comme beaucoup de sigles, mais qui a déjà dû faire l'objet de nombreux débats animés dans le milieu militant concerné. LGBT pour ceux qui comme moi ne sont pas familier avec les sigles veut dire Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres. Je ne me formalise pas car je suis là pour servir les clients sans trop leur casser les noix et qu'en plus je suis content car j'ai un excellent ouvrage à proposer à cette jeune fille (plus jeune que moi, s'entend). Il s'agit du dernier Carlos Giménez, Pepe, édité il y a quelques semaines par Charlie Hebdo – Les échappés.

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Carlos Giménez est l'un de mes auteurs favoris comme le savent les lecteurs de ce blog. La récente offensive patrimoniale des éditions Fluide Glacial, à la suite de Mosquito, permet à de nouvelles générations de profiter de ses œuvres introuvables et, à tous, de découvrir les inédits produits ces dix dernières années. Ainsi les deux tomes Paracuellos furent réédités, accompagnés par les 3 suivants , inédits en France, regroupés dans une agréable intégrale (2009), puis Barrio (2011) et en 2012 Les Professionnels bénéficièrent du même traitement (rééditions + inédits).

Giménez fut celui qui ouvrit la voie à la bande dessinée autobiographique en Europe à la toute fin des années 70. Tirés de ses propres souvenirs, ses histoires reçurent un tel écho qu'au fil des années nombreux furent les Espagnols qui vinrent témoigner auprès de lui de leurs expériences similaires ou voisines. De cette matière foisonnante, tirée de l'expérience de la vie transmise oralement, Carlos Giménez a fait une œuvre émouvante et drôle, capable de regarder l'humanité en face, qu'elle se montre atroce ou amène. Une œuvre qu'il n'a cessé d'enrichir et de poursuivre au fur et à mesure qu'il devint le réceptacle d'une partie de la mémoire de son pays.

Pepe n'est sans doute pas son meilleur livre, mais il nous intéresse tout particulièrement, nous les amateurs de BD. En effet il peut être vu comme un prolongement des Professionnels qui met en scène un studio de créations de BD à Barcelone dans les années soixante.

Pepe est le portrait plus détaillé de l'un d'entre eux. Pepe c'est José González, dessinateur réaliste puissant qui excellera par exemple dans Vampirella (incroyable ! Au moment où je saisis cette phrase un client passe en caisse avec un Vampirella et me demande si je n'en ai pas d'autres !) et en général dans la représentation de femmes sexy. Nous apprenons notamment dans ce premier tome de Pepe (l'auteur semble vouloir en faire 5 !) que José González ne semble pas vivre sa masculinité exactement comme ses collègues... Ce qui n'est pas toujours évident dans le milieu macho catalan régressif que les lecteurs des Professionnels connaissent bien.

Loin de se cantonner à cet aspect, Pepe, sans insister nous fait découvrir comment la modernité, à travers le rock n' roll, pénètre la société assez confinée de l'Espagne franquiste. Les amateurs des récits nostalgiques de Max Cabanes y trouveront largement leur plaisir. La vie d'un quartier est aussi décrite par petites touches discrètes. Le tout est accompagné par un carnet de photos que l'on doit aux archives d'un autre dessinateur, Josep Maria Beà. Bref pour quiconque s'intéresse à l'histoire de la bande dessinée, à ceux qui l'ont fait et au contexte dans lequel ils ont travaillé, l'acquisition de Pepe devrait être profitable.

Pour en revenir à ma cliente du début, je lui suggère donc l'achat de cet ouvrage, qui me semble très bon et, qui plus est, cadre parfaitement avec la thèse de l'ami à qui il faut faire un cadeau. Je fais ce conseil de manière d'autant plus désintéressée que nous ne vendons pas cet ouvrage. La cliente en prend bonne note et va chercher l'album chez un de nos voisins. Pour moi ce devait être la fin de l'histoire. J'ai faim, je vais m'acheter une part de pizza.  À mon retour dans la rue Serpente je croise à nouveau cette jeune fille, qui à ma question "alors avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?" me lance avec une sorte de joie destructrice : "J'ai lu PEPE et c'est TRÈS TRÈS MAUVAIS !".

Un peu estomaqué je ne trouve que le temps de m'étonner qu'elle ait pu lire cet ouvrage debout en moins d'une demi-heure dans un magasin assez fréquenté, alors qu'il eût fallu lui demander : "mauvais en quoi ?". Hélas je n'ai pas eu cette présence d'esprit car j'aurais sans doute pu m'ouvrir à d'autres univers. Il faut dire que j'avais faim, et une part de pizza goût barbecue dans la main, ce qui met toujours en mauvaise posture pour les débats d'idées. La prochaine fois que je reverrai cette cliente j'en saurai peut-être plus.

Ce qui est bien, mais ne console pas totalement d'un tel désaveu, c'est que suivant son opinion et non la mienne, pendant que j'achetais une pizza elle était revenue acheter quelque chose chez nous plutôt qu'un Pepe chez les autres.

 
Down Under T.1 de Pezzi et Sergeef

J'ai déjà écrit ici tout le bien que je pensais du western australien de John Hillcoat, The proposition, aussi c'est avec curiosité que je me suis penché sur cette production Glénat correctement dessinée, qui semble entrer dans la même catégorie. La référence à Ned Kelly permet de dater l'histoire à la fin des années 70 (1870...). L'histoire est un peu tortueuse et demande une certaine vigilance mais on peut l'admettre d'un premier tome (sur 3 de prévus).

Cependant les personnages m'indiffèrent plutôt. Je déplore surtout la volonté d'exhaustivité de la scénariste : à vouloir caser à tout prix le maximum du fruit de ses recherches sur la période, elle finit par créer une intrigue pleine de grumeaux exotiques et inutiles. Ce parti pris, qui pourrait être pédagogique (vous allez apprendre l'histoire de l'Australie en vous distrayant), est contredit par l'absence de notes explicatives. Ainsi, qu'est-ce qu'un "corroboree" ?

Je sais que les encyclopédies existent, mais une petite étoile comme Charlier les faisait et qui renvoie à une petite note aurait été sympa (d'ailleurs c'est marrant mais dans plein de BD franco-belges, il y a ces petites astérisques, mais souvent elles ne renvoient à rien car le dessinateur a oublié de caser la note). Les soldats que l'on croise sont-ils britanniques ou locaux ?

À propos de ces soldats (ou policiers ?), je trouve que les héros leur parlent avec beaucoup d'impertinence. Je n'ai pas trouvé cette scène très vraisemblable... Je me vois mal ricaner et me foutre de la gueule de flics me demandant si j'ai croisé un sans-pap qui courait. Je leur répondrais probablement juste "euh... non", mais il est vrai que je ne suis pas un héros, que je ne suis pas australien et que je ne suis pas armé.

Ceci dit, cette bédé est tout à fait lisible, mais à son stade actuel de développement, elle ne va pas m'obséder la nuit en attendant la suite.

Down Under t.1 : L'Homme de Kenzie's River de Nathalie Sergeef et Fabio Pezzi, éditions Glénat, une occaz à 10€ vue rue Serpente.

Dédicace impromptue: Anouk Ricard, Faits divers, Cornelius
 

François Truffaut a dit quelque part qu’il ne servait à rien de chercher le réel car la réalité dépassait toujours la fiction…

Même s’il m’est impossible de retrouver cette citation, je ne peux m’empêcher d’y penser au moment de vous présenter Faits Divers, le nouveau livre d’Anouk Ricard. Dans cette petite suite de gags qui prend comme motifs des faits divers de la presse régionale, il semble qu’Anouk Ricard refuse de rendre les armes face à une réalité qui se montre franchement imprévisible et folle.

Anouk  ne conserve que les titres, relativement imagés, de la presse, puis laisse son imaginaire plein de fantaisie vagabonder pour réinventer l’évènement. Autant dire que le réel peut ici s’accrocher pour dépasser la fiction. Et que le rire est fatalement au rendez-vous.C’est donc un petit livre qui en dit beaucoup sur l’univers artistique de cette jeune artiste en passe de devenir très grande.

Connue et adulée pour sa série jeunesse Anna et Froga, admirée par une pléthore de lecteurs et d’artistes pour son sens du langage à plusieurs niveaux et sa capacité à changer de public (enfants ou adultes) sans changer d’univers, Anouk Ricard livre ici un joli aveu sur sa manière de regarder le monde.

Un monde fou qu’il faut absolument dépasser en folie, sous peine de perdre pied avec la réalité. 

 
15 août : boutique ouverte
 

Bonjour, ici Vlad,

dans un quasi désert commerçant je suis aux commandes de la librairie de la rue Serpente et je vous attend.. Nos voisins de Boulinier semblent ouverts aussi... Aux angles du Boulevard Saint Germain et de la rue Saint Jacques, les boutiques Album semblent elles éteintes, jusqu'à quand ?

Rue Dante il paraît qu'Album, Little Tokyo et Pulp's sont fermés. En revanche j'espère bien que Patrick Batman va finir par ouvrir notre échoppe. Ici rue Serpente je vais néanmoins tâcher de convaincre Jacques de fermer plus tôt, genre à 20h30, mais c'est pas gagné vu que ce gars-là est un vrai maso du travail et qu'il reste ouvert parfois jusqu'après minuit !)Je voulais mettre ici une image bédéïque de l'assomption de la vierge, mais je n'en ai pas trouvé (je n'ai pas cherché longtemps), alors à défaut, en cette fête catholique, je peux vous décorer l'article avec une Annonciation... extraite de La Bonne Bouvelle de Pilamm, tome 1 : Le mystère de la grotte.

Au passage je signale que nous avons donc en rayon un pack des trois premiers albums (rééditions 1987, éditions Brepols) de La Bonne Nouvelle, qui fut l'unique œuvre bédéïque, à ma connaissance de Pilamm (Pierre Lamblot). Ce pack, en bon état est à vendre à 15€ et déroulera pour vous et vos enfants les évangiles, avec une joviale naïveté (mention spéciale au teint délicieusement olivâtre de Judas).

Plus d'informations sur Pilamm, avant-guardiste de la BD catho, sur le blog du CRIABD (Centre Religieux d'Information et d'Analyse de la BD). 

 
Tsar Duklan de Vuyacha
 

Fantastique gâchis

Ma première impulsion fut d'écrire au sujet de cet album un post moqueur, empli de formules définitives mettant les rieurs de mon côté. Puis j'ai trouvé ça vain et facile, inutilement méchant envers ce que j'imagine être un jeune auteur plein d'entrain. En effet, comme beaucoup de livres qui se retrouvent chez nous, Tsar Duklan souffre avant tout d'un manque cruel de travail d'éditeur. La pratique est fort répandue (et pas seulement chez les petits éditeurs comme Akiléos) de publier à la va-vite et précocement des livres inaboutis, des brouillons malformés, leur déniant ainsi toute chance de succès. Quel chance un produit de toute évidence mal goupillé, dont le contenu eût mieux convenu à un fanzine, a-t-il d'être acheté, surtout s'il est vendu 13,50 € en raison d'une fabrication luxueuse alliant cartonnage rigide et papier glacé ? Qui plus est, quel intérêt de publier un tome 1 qui ne pourra assurément jamais avoir de suite tant son insuccès est prévisible au simple feuilletage ?

Chaque année des œuvres en gestation sont ainsi accouchées prématurément et vouées à une mort certaine. Ces publications précipitées, faites sans donner aucun conseil aux auteurs, sans jamais leur demander de refaire ce qui est raté, n'ont que deux conséquences :1) un gâchis inconsidéré d'énergie et de matière premières.2) le sacrifice d'une passion, d'une envie de créer, d'un projet qui aurait pu être intéressant.

Les raisons de tout ça sont sans doute complexes. Il peut s'agir de complaisance relationnelle, de lâcheté, du besoin de combler à court terme un douloureux déficit ou simplement d'incompétence, ou de l'ensemble de ces éléments habilement combinés. De compétence les éditions Akiléos font pourtant preuve quand il s'agit de dénicher et de traduire des perles de la production étrangère (Hector Umbra de Uli Oesterle est une de mes lectures préférées, ce qui ne l'empêche pas, remarquons-le au passage, d'être un bide total auprès du public), en revanche leurs productions du terroir laissent fortement à désirer.

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Avant de conclure, venons-en un peu à l'œuvre dont on parle aujourd'hui. Tsar Duklan est l'histoire d'un souverain qui vient de remporter la bataille finale et peut désormais régner en maître absolu sur son monde. Pourtant les ennemis de l'intérieur fourmillent et les complots commencent. Ce que l'on aperçoit du contexte, quoique peu limpide, semble assez élaboré et promet des développements excitants. Les influences de Frank Herbert, de Ledroit et de Druillet se croisent ici pour donner parfois d'intéressantes mises en page et des couleurs audacieuses. L'enthousiasme créatif et les bonnes idées ne manquent pas, comme ces discussions vues de loin, entre chevaliers minuscules montés sur des dragons énormes, ce qui donne d'abord au lecteur l'impression que ce sont les montures qui parlent, procédé renforçant l'idiée d'une communion chevalier / dragon qui rappelle fortement la fusion symbiotique que l'on observe entre le conducteur et le mécha dans la bande dessinée et l'animation japonaise.Un éditeur de talent aurait en revanche conseillé à son poulain d'apprendre un peu à observer la diversité de l'art et le monde réél avant de peindre... En effet, un exposition trop longue aux créations d'Olivier Ledroit est loin de pouvoir aider un jeune auteur à maîtriser anatomie et physionomies. Il eût aussi fallu élaguer considérablement les dialogues emphatiques et d'une longueur éprouvante.

Tsar Duklan est une tentative, un projet, à prendre comme tel, avec curiosité. Chez nous il coûte 3€.48 p. Akileos, 2005.

 
Dédicace Pierre la Police
 

Le 14 juin, viens échanger tes doubles Panini et te faire signer ton Science Foot

Pierre La Police, chez Aaapoum Bapoum, c'est une rockstar. Difficile de dire si c’est pour son sens de l’absurde, la manière dont il joue avec les associations d’idées ou les mots, ou encore la nostalgie d’une époque bénie et lointaine où Vladimir allait acheter des dessins originaux pour quelques francs symboliques chez Un Regard Moderne…. Quoi qu'il en soit, c’est une histoire qui dure.

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Voilà pourquoi le jeudi 14 juin prochain, à partir de 17h, ce Fantômas de la bande dessinée viendra payer de sa personne et faire des dédicaces dans notre échoppe du 14 rue Serpente à l’occasion de la parution aux éditions Cornélius  de Science Foot, compilation augmentée de ses strips publiés dans So Foot… sur le foot bien évidemment.

La plupart de ses ouvrages publiés aux Editions Cornélius seront disponibles à la vente, des petits gâteaux, cacahouètes et boissons alcoolisées ou non seront servis aux plus festifs d’entre vous. La soirée devrait se poursuivre de manière plus ou moins informelle jusque 22H en compagnie de quelques uns des plus vigoureux membres de l’édition indépendante française. Ca va chauffer!

 
Totendom tome 1 et 2, édition luxe, de Recht et Delmas
 

"—Les héros sont immortels !

— Mais les héros doivent-ils  être inconscients ?"

2 albums... 3 ex-libris

2 albums... 3 ex-libris

La prose grandiloquente de Gabriel Delmas est toujours jubilatoire et exaltée... Ici dans la postface du récit wagnérien mis en images par Robin Recht, il écrit :

"Gloire aux marges fangeuses de l'édition qui défendent la vérité de l'être humain et travaillent à remettre l'artiste sur le piédestal d'où il a été viré autrefois par les charlatans et les menteurs. Je ne fais pas de la putain de bande dessinée. Je fais avant tout du dessin et de l'écriture."

Les commerçants que nous sommes proposent à la vente en ce jour les tirages de luxe numérotés et signés des deux tomes de Totendom.

• Le tome 1 est accompagné de deux ex-libris numérotés et signés. L'un d'Alex Alice, cover artist de la série, l'autre de Robin Recht. Tirage : 300 exemplaires. Cette édition comprend, par rapport au tirage standard,  un cahier supplémentaire de 16 pages fort plaisantes de croquis et d'esquisses. Les 1er et 4e plats sont un peu frottés. 50 €.

Une dédicace de Robin Recht. Correcteur liquide blanc sur pages de gardes noires.

Une dédicace de Robin Recht. Correcteur liquide blanc sur pages de gardes noires.

• Le tome 2 fut tiré à 250 exemplaires. 125 réservés à la librairie Forbidden Zone à Bruxelles et 125 à la  librairie Boulevard des Bulles à Paris, désormais disparue. Un ex-libris numéroté et signé par Robin Recht est glissé à l'intérieur. De plus notre exemplaire, le n°43, est agrémenté d'une dédicace pleine page au correcteur liquide sur fond noir. Ce tirage bénéficie comme celui du tome 1, d'un cahier d'esquisses dont nous déplorons cette fois la maquette immonde et surchargée. 65€.

Avertissons tous de même nos clients que l'acquisition de cette variation fantastique sur Gilles de Rais ne connaîtra sans doute jamais de dénouement, comme tant d'œuvres de cet art si laborieux et long qu'est la bande dessinée...

Ces ouvrages seront à vendre rue Dante d'ici une heure.

 
Sandy et Hoppy
 
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— Hé!  Gamin ! Reviens ! Tu es fou ?!!

— Fou ? Peut-être... Mais je ne peux pas attendre là, bêtement !

Nous en avons très rarement en rayon, mais chaque fois qu'un Sandy et Hoppy arrive jusqu'à chez nous je l'emprunte aussitôt avec une joie non simulée. J'aime beaucoup Sandy et Hoppy. Quand le monde se fait trop rugueux, que l'atmosphère est trop acide, j'aime m'endormir avec mes deux amis australiens.

Réalisé par Willy Lambil avant les Tuniques Bleues, cette série pour la jeunesse est très réussie malgré son manque cruel de postérité. Le dessin de Lambil, plus réaliste que par la suite, est excellent. Les visages sont un peu lassants de répétitivité, mais c'est excellent tout de même. Les éditions Magic Strip, en noir et blanc, rendent d'ailleurs parfaitement honneur au graphisme. Le plus étonnant c'est que, presqu'à chaque fois, le scénario est très bon lui aussi. En 44 planches l'intrigue est parfaitement menée, sans temps mort ni accélération abrupte et queue de poisson. Tout y est au poil. Il faut juste accepter l'idée qu'un gamin de quinze ans est plus mature, courageux et débrouillard que la plupart des adultes, que toutes les charmantes jeunes filles de dix ans plus âgées le trouvent irrésistible, sans doute justement parce qu'il est plus homme que les hommes (un peu comme dans Gloria de Cassavetes, quoi), et qu'il est suivi par un kangourou redoutable d'attention et champion de kickboxing, comme l'apprennent à leur dépends les malfrats. Mais en même temps, ces qualités de sur-scout sont assez courantes dans la littérature enfantine.

La saveur des scénarios réside principalement dans une capacité remarquable de l'auteur complet à mener deux fils d'intrigue qui s'imbriquent efficacement et avec doigté aux environs de la page 22.  Le cadre des aventures étant l'Australie des années soixante, la majeure partie des épisodes se déroulent au sein d'une ruralité quasi-idéale que des événements et des personnages viennent troubler. Gangsters et trafiquants venus des villes sont en effet légion à venir se réfugier dans la contrée paisible des koalas et des aborigènes. Il en résulte un genre de polar campagnard dans la veine de certains fims américains des années soixante-dix comme Charley Varick de Don Siegel ou Thunderbolt and Lightfoot de Cimino... Attention, je parle bien d'ambiance globale, hein, on est chez Spirou là, y'a pas trop de morts ni de torture.

Il faut savoir rendre hommage aux créateurs talentueux quand ils sont encore vivants. Il faut aussi louer Willy Lambil pour son talent de raconteur, cruellement laissé en jachère depuis qu'il s'est inféodé à la Guerre de Sécession et à son ami/ennemi Cauvin, qui aurait parfois dû demander un coup de main à son compère dessinateur. Attention, hein, je ne dis pas que Cauvin est un mauvais scénariste ! Je remarque juste que certains Tuniques bleues n'arrivent pas à la cheville du moindre Sandy et Hoppy. Ne me contrediront que ceux qui détestent les histoires où apparaissent des kangourous.

 Le Sandy et Hoppy qui arrivera bientôt rue Dante est le tome 13 de la collection Magic Strip : L'étranger de Glen Muir (1981). Un petit accroc au premier plat liée à l'adhésion trop longue d'une étiquette trop collante dévalorise quelque peu cet ouvrage broché, qui sinon est en fort correct état. Nous le vendons 18€. L'intrigue entretient une petite parenté avec History of Violence de Cronenberg et le final est assez étonnant, avec son ton un peu amer qui dénote un peu dans la ligne Spirou.

Mince je me rend compte que je fais comme les critiques de BD Stéphane Beaujean et Kamil Plejwaltzsky et que j'ai truffé mon laïus de références cinématographiques souvent lointaines plutôt que de m'attacher à décrire l'œuvre. Pardon.

 
Insolite de Loustal, éditions du Seuil
 

Dans les années 90 Loustal anima régulièrement le supplément du week-end du Tages-Anzeiger – un quotidien de Zurich – par des planches de BD mettant en scène des faits divers. Publié en 1999, Insolite en est le recueil. Se succèdent ainsi, sur près de cinquante pages en noir et blanc, des situations cocasses, des personnages atypiques, des concours de circonstances invraisemblables et des événements tragiques. En effet, la mort rôde souvent sur la chute de ces histoires. Des morts brutales. S'arrêtant à l'aspect insolite et distrayant des faits divers, la presse flatte la curiosité et la moquerie chez ses lecteurs et non la compassion. Ici, la transposition en images rend plus palpable le désarroi des victimes : une fois la page tournée, elles restent seules avec leur douleur.

Cette perspective étant posée, Insolite reste un ouvrage humoristique souvent agréable. Une alternative élégante à la consultation pavlovienne des rubriques de faits divers qu'offrent une infinité de sites pour animer nos longues heures de travail ou nos courtes pauses repas.

Ne résistez pas à cette distraction du luxe : elle présente en plus l'avantage d'être vendue 6€ chez Aaapoum, alors que son prix initial était de 75F, c'est-à-dire plus de 11,40€.

Insolite de Loustal, Seuil, 1999. EAN : 978202036441