Publications dans Indés
Planning dédicace
 

Parfois il ne se passe rien, et puis il y a les autres fois.

Deux dédicaces sur deux semaines, messieurs dames,  rien de moins. Nous accueillons tout d’abord Kent, pour L’Homme de Mars, Samedi 17 mai à partir de 19h. Pour ceux, échaudés par l’annulation de dernière minute de la fois précédente, rassurez-vous. Cette fois-ci, Kent ne vient pas en train, mais à pied et en métro, puisqu’il aura dormi la veille non loin de la librairie.

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Ensuite, Vendredi 23 mai, à partir de 19 heures, nous accueillerons les éditions Cornélius pour le lancement du premier livre d’Eric Veillé, Le Sens de la vie et ses frères.

Si je vais attendre quelques jours avant de vous en parler, sachez d’ors et déjà qu’en bon petit Freud du pauvre que je suis, j’ai décelé dans son dessin, composé de minuscules et abondants petits traits, le comportement du monomaniaque minutieux.

À chaque page, Eric Veillé fait une proposition surréaliste ou symbolique et la laisse évoluer (dégénérer ?) en roue libre jusqu’à la conclusion. Un exemple que j'aime beaucoup : S'il met des sels dans son bain à la première case, c'est que, six cases plus loin, il rate un entretien d'embauche à cause des perles de jojoba qui sont coincées dans son cul. Evidemment, les strips ne montrent pas tous ce niveau de raffinement (c'est même plutôt le contraire mais mon goût personnel m'aura fait choisir un extrait peut-être pas assez représentatif).

Certains sont poétiques, d'autres inquiétants. En résumé, ça m'a fait l’effet d’un show comique de Jerry Seinfeld et Larry David qui serait parasité par l’univers de Roland Topor et Pierre La Police. C’est drôle, angoissant, et sacrémentfort en dessin.

 
Balles perdues de David Lapham
 

Malédiction éditoriale

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Imaginez une série noire en BD qui dresse un panorama des Etats-Unis depuis les seventies, ou du moins un panorama de ses marges les plus dérangeantes. Le tout impeccablement découpé, dialogué avec tranchant, dans un noir et blanc de circonstance. Un panorama fait de dizaines de nouvelles se situant à différentes époques, dans lesquelles on recroise des personnages à différents âges. Imaginez que cette œuvre parle de la façon dont la violence contamine la société, comment elle marque les gens et les destins. Imaginez une œuvre digne de la cruelle concision d’un William Irish, de la verve d’un Tarantino, et de la vigueur d’un Scorsese.

Si une telle comédie humaine criminelle existait en BD, cela créerait un raz-de-marée chez les libraires, non ?

Et bien NON.

Car cette série existe.

Elle se nomme Stray Bullets, Balles perdues.

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Et Stray Bullets est une série maudite en France. Commencée en 1995 par un encore jeune artiste américain, David Lapham, cette série noire a déjà connu deux débuts de publication par chez nous. La première par Dark Horse France en 1996, la seconde par Bulle Dog en 2001. Ces deux maisons ayant mis successivement la clé sous la porte, les quelques lecteurs français en sont restés à l’épisode 7 (sur les 32 publiés aux Etats-Unis). On peut facilement comprendre pourquoi tant d’amateurs sont passés à côté des Balles perdues... Les Editions Bulle Dog leur avaient réservées une si déplorable présentation... Bulle Dog, une des rares maisons d’édition à penser que l’intelligence doit se cacher, mettait un point d’honneur à faire du moche avec du bon.

Mais derrière tout malheur il y a quelque chose de positif... Et les habitués de ce blog savent bien où l’on va en venir... Evidemment ! Chez AAAPOUM BAPOUM, vous pourrez découvrir cette excellente série à peu de frais : 12 euros le pack des deux tomes parus (qui correspondent aux épisodes américains 1 à 6, soit près de 200 pages, tout de même !). Il est important de savoir que, même s’il est déplorable que la suite ne soit pas traduite, chaque épisode est une nouvelle qui peut s’appréhender individuellement. Les plus courageux pourront toujours se procurer les épisodes plus récents en anglais, par exemple chez Pulp’s en face !

Pour achever de se laisser convaincre, ceux qui le souhaitent peuvent lire cette sympathique chronique sur Bulledair.com

 
Hato, Toujours plus haut! de Osamu Tezuka
 

Depuis la naissance du blog de Cornelius, nous n’en avons que peu parlé. Normal, car dans le milieu des critiques de bande dessinée, suite à quelques articles je suis en passe de finir comme «suceur de bites undergrounds », dixit Vlad. Moi qui me méfie des églises, va-t-il falloir que je remplisse mon quota de XIII et de Largo Winch afin de montrer patte blanche de nouveau.

Par Stéphane

Suite aux discussions avec quelques-uns de nos clients fans de Tezuka, et déçus par Hato, je me  lance dans l’écriture de ce post. Le décryptage commence dans la suite, après ce petit résumé de l’intrigue.

Des jumeaux orphelins, éduqués dans l’amour et la fraternité par une femme serpent aux pouvoirs puissants, sont destinés à de grands projets, mais finissent par se faire face, divisés par la gouvernance de leur village natal. Les legendaires Remus et Romulus n’auraient pas fait mieux.

 

En farfouillant dans la tonne de documents que je compile dans le but de débiter des infos géniales et passer pour un éminent savant dans le monde de la critique bande dessinée, j’ai dégoté cette citation de Tezuka.

«Les gens me demandent souvent, "Astro Boy est votre travail le plus représentatif n’est-ce pas ?" C’est est en parti vrai car, de par sa longueur, elle permet de jauger de mon évolution dans mon travail. Mais si l’on m’avait demandé, à la place, de citer ma création favorite, j’aurais répondu le Roi Leo, Hato, ou même certaines de mes nouvelles. Si j’ai vraiment pris du plaisir à écrire Astro Boy durant les deux trois premières années, les suivantes ne furent qu’une routine. Quant à l’après adaptation en série télévisée, continuer à écrire Astro, devenu phénomène monstrueux, me procura beaucoup de tristesse.» 

Hato, œuvre anecdotique dans la carrière de Tezuka, passée inaperçue même au Japon où elle fut diffusée dans un magazine peu populaire à l’époque (Com pour ceux que ça intéresse), est il est vrai loin d’être sa meilleure série. Cependant, la lecture de Hato est vraiment agréable, et  même passionnante pour ceux qui s’intéressent à la carrière de l’auteur ou au folklore japonais. A l’aune de ces deux augures, l'œuvre révèle de bien belles qualités.

Inspiré à Tezuka par la lecture de Taro du Dragon, vrai grand chef d’oeuvre de la littérature enfantine écrit par Miyoko Matsutani et traduit en français chez Magnard, Hato constitue la première et unique incursion de cet auteur dans l'univers des légendes japonaises –si l’on excepte Dororo, plus axé sur le yôkaï que sur les légendes. Ici, nombre d'épisodes mettent en scène des combats entre hommes et esprits, fées et autres bêtes, avec la plus tendre des naïvetés enfantines.

Comme le souligne l’éditeur Cornelius, la forme du récit est particulièrement originale pour l’époque. Composé de bulles mais aussi de commentaires hors-cadre, flottant dans la page, certains amateurs de bande dessinée y verront les prémices du roman graphiques tel qu’il sera défendu quelques années plus tard par Will Eisner, sur un autre continent. D’autres le rattacheront aux contes illustrés pour enfants, dont la tradition existe aussi sur l’archipel depuis des lustres. En tout cas, c'est innovant.

Coté scénario, Tezuka fait montre de thèmes caractéristiques dans ses œuvres à l’approche du tournant des années 70. D’un coté, sa conscience politique se précise, à mi-chemin entre l’unicité japonaise si chère à la pensée nationaliste nippone (attention, ne pas y voir le même concept que dans notre hexagone) et le communisme montant dans ce pays sous tutelle. Hato-maru, jumeau positif, incarne ainsi l’unicité du village face aux catastrophes naturelles et la révolte face aux oppresseurs et leur leader (le frère Taka-maru,devenu chef de guerre).

De l’autre coté, Tezuka témoigne des craintes qui saisissent la société japonaise à cette époque, s’apprêtant à renouveler le traité d’alliance nippo-américain qui a cours tout les dix ans. Comme dans Prince Norman, c’est le futur proche qui angoisse, le sentiment partagé d’avoir atteint les limites de la reconstruction et ne savoir comment aller encore plus de l’avant. Comme le dira le critique Japonais Jun Ishiko (assez célèbre) à propos de Hato en 1977, en référence à son titre japonais (Dove ! Envole toi au Paradis!) «Dove a atteint le ciel, mais désormais, comment faire pour qu’il apprenne à voler ?». Cette angoisse, les Japonais devaient bientôt apprendre à la surmonter.

 
Un taxi nommé Nadir, Gilles Tévessin & Romain Multier
 

Lescanons ont la vie dure ; la bande dessinée ne fait pas exception.

Par Stéphane

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Je me souviens, il y a quelques années, dans l’immense sous sol de la librairie Album du 84 boulevard St Germain, je cherchais une bonne heure et demi durant de l’iconographie sur Paris en bande dessinée à la demande d’Antoine de Caunes,tout droit sorti d’un film où il montrait ses jolies fesses et en pleine préparation de son premier long métrage à la réalisation. Un besoin de documentation jamais assouvi, l’homme connaissant déjà et sur le bout des doigts le moindre des dessins publiés par Tardi.

À l’époque, je m’étais dit qu’il y a vraiment peu de bandes dessinées prenant la capitale pour cadre, et m’étais trouvé un peu vexé de n’avoir réussi à exhiber mon savoir devant cette célébrité. Hors depuis, je n’ai jamais découvert de vision originale, novatrice ou intéressante de Paris, elles n’existaient donc pas, ou étaient bien cachées.

C’est donc avec un bonheur indicible que j’ai vu débarquer, pour la première fois,une démarche artistique en rupture avec les vingt-cinq ans de cette domination esthétique du maître Tardi ; le pire étant les répétitions vulgaires à l’infini, réalisées le plus souvent par des tacherons de première. Après le splendide Roi cassé de Nicolas Dumontheuil, qui renouvelait en début d’année dernière l’imaginaire et les courbes des tranchées de la première guerre mondiale (un autre de ses terrains de domination), voici Un taxi nommée Nadir, de Gilles Tévessin et Romain Multier, édité par mon vieux pote T.G, qui repeint Paris aux couleurs de ce nouveau siècle.

Enfin fini ce noir et blanc des clichés désuets d’une capitale du passé, trop souvent sous-entendue comme à son meilleur - le détestable Amélie Poulain en tête. Là est le grand mérite de cette bande dessinée, évider enfin l’imagerie anachronique et franchouillarde de ville musée, incapable de ce renouveler dans son architecture et dans son imaginaire,les pieds pris dans le béton pavé du vingtième siècle.

En plus d’apporter un peu de neuf esthétique, les deux auteurs dégomment la déjà canonique et pompeuse forme du reportage en bande dessinée initiée par JoeSacco. Ce dernier certes y excellait, mais là encore il faut voir ce que ces suiveurs ont produit comme déchets. Tévessin et Multier montrent que le documentaire a une histoire, de nombreux modèles à adapter.

Proche des portraits de professions réalisés par Alain Cavalier (à la tendresse sublime et récemment réédités chez Arte au passage, mon préféré «la dame lavabo»), leur promenade parisienne en compagnie d’un chauffeur de taxi, as de la conduite et guide de la nuit, ne cherche que la fluidité du récit et des décors, provoque la proximité par l’abondance de variations narratives et d’effets qui se veulent discrets.

Novateur à tellement d’égard au point de renouveler dans sa chair la bande dessinée, astucieux dans le détails de la voix et du trait tant et si bien que plusieurs lectures sont nécessaires,joyeux comme un drille et humaniste comme pas deux, ce livre est assurément l’un des plus grands moments éditorial de l’année 2006.

 
Plein les yeux de Keko
 

Pour un été espagnol

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Il y a quelques semaines les étals étaient encore submergés par les nouveautés... Dans un mois ça recommencera, encore pire qu'avant. Les lecteurs ne sauront pas où donner de la tête, et les libraires ne sauront pas quoi conseiller, occupés qu'ils seront à trouver de l'espace entre les piles de nouveautés pour mettre de nouvelles piles et à préparer des cartons avec les nouveautés de la veille pour les renvoyer à l'éditeur. Sauf que là, en ce début de mois d'août, il n'y a pas grand chose de neuf à se mettre sous les yeux, en tous cas en bande dessinée européenne. C'est l'occasion pour revenir sur un titre sorti en mai et dont je ne vois pas la pile baisser chez mes voisins d'Album Saint Germain. C'est dommage car c'est un bon album. Il s'agit de Plein les yeux de Keko publié aux Editions de l’An 2.

Il faut dire que sa couverture française est dissuasive et ne reflète en rien la richesse de ce cauchemar graphique, sorti de la plume d’un quasi inconnu avec un nom ridicule. Un cousin espagnol de Mezzo et de Charles Burns qui révèle la contamination culturelle de la société par les images. Omniprésentes, elles façonnent et modifient l’individu, sont à la fois la sclérose en plaques et l’exhausteur de goût de l’environnement. Et l’intrigue policière modeste de Keko, au final, s’attache à explorer nulle autre chose que cette maladie. 

Dans un commissariat, un homme est interrogé sur ce qu’il a fait la veille. Un dispositif narratif de récit dans le récit assez classique, mais dont la bichromie somptueuse de noir et de rouge magnifie la folie intérieure du protagoniste. Un mal qui explose dès l’ouverture, et enclenche une longue odyssée hallucinée de références visuelles, parfaitement justifiée par l’histoire : le personnage principal est un documentaliste attaché à collecter des « ressources graphiques » sur les fifties : affiches, photos, publicités, films…

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Dès lors le parcours de ce pauvre suspect, peuplé de fantômes graphiques, peut se lire comme la mise en abyme de la condition du créateur : errant dans un monde de références il cherche son chemin, en les fuyant, en les agglomérant, en les détournant ou en les assimilant… Les visions allégoriques qui s’imposent au personnage sont elles-mêmes métaphore du regard artistique, celui qui surprend le derrière des apparences et le retransmet par la déformation ou l’amplification.

Depuis son Espagne natale, Keko, à l’image de ce Don Quichotte vêtu en Lone ranger masqué dans lequel se projette le personnage à la fin de l’album, s’est exilé par l’esprit dans l’imaginaire rétro de l’Amérique des années cinquante, avec ses rêves familiaux de consommation et son cauchemar maccarthyste. Un paysage intérieur confusément familier, mais dont Keko se fait le guide érudit, avec cette fascination distanciée, mélange d’amour et de peur qui est le propre de ceux qui ont découvert une terre d’accueil, fusse-t-elle imaginaire. En puisant dans un héritage visuel délibérément étranger et désuet, l’auteur batit sa singularité. Car si cet étalage iconographique identifie clairement Plein les yeux comme un brillant exercice de style, qui s’attache davantage à parler du médium, de ses créateurs et de ses lecteurs qu’à raconter une histoire, sa plus grande élégance est d’avoir choisit de le faire en utilisant un champ de références extérieur à la bande dessinée.

le site de l'éditeur français : www.editionsdelan2.com

le site de l'éditeur espagnol : www.edicionsdeponent.com

 
Qu'il est drole...
 

...Ah mais purée qu'est ce qu'il est drole!!!

Par Stéphane

J'ai jamais été trop sensible à l'humour sous forme de bande dessinée. Je  n'ai jamais d'ailleurs trop compris pourquoi. Je ris comme une loutre au cinéma, mais en livre...une fois sur deux ça me dépasse. Alors quel n'est pas mon plaisir lorsque une génie du cretinisme comme Bouzard me décroche la machoire. C'est ici...

 
Cadeaux Bonux
 

Il court il court, le furet...

Aujourd'hui sort la bande dessinée L'Homme qui s'évada aux éditions Actes Sud, adaptation des reportages Au bagne et L'homme qui s'évada d'Albert Londres réalisée par Laurent Maffre. Un des meilleurs livres du mois. Pour accompagner la sortie, vous trouverez sur le compte Flickr du magasin le dessin de couverture en format large. Il est à tomber par terre et en jette un max en papier peint de bureau. Ensuite, et en exclusivité pour notre blog, le jeu de l'oie de la liberté. Un complément dessiné pour l'occasion, qui fera peut-être un jour un somptueux ex-libris collector, mais qui aujourd'hui n'est disponible nul part ailleurs qu'ici... Deux exclusivités, des livres et des dessins de grande qualité, un jeu mortel. Le Aaablog, c'est plus ce que c'était, mais c'est presque mieux... bon, pour accompagner l'événement, la critique de mon ami Julien Welter dans la suite, qui paraîtra dans Score (Je tiens à dire qu'il lit très peu de bande dessinée même s'il adore ça. Donc son point de vue de profane en dit long sur l'accessibilité du livre).

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Avant tout, il y a l’œuvre d’Albert Londres. Son récit du drame vécu par Eugène Dieudonné accusé par des autorités en manque de suspect d’être un complice du gangster-marxiste Bonnot. Gracié par un Président Poincarré peu convaincu de sa culpabilité, il évitera rapidement la guillotine. L’histoire aurait pourrait s’arrêter là, à cette simple erreur judiciaire. Sauf que la bonté présidentielle l’envoie à Cayenne, au bagne. C’est donc peu après ce prologue que le livre s’enclenche en deux temps. La visite de Londres dans cette prison et la constatation effarante que l’humanité a déserté les lieux ; puis l’évasion de l’innocent voulant à tout pris reprendre sa liberté. Une construction simple dotée d’un titre évacuant toute tentation de suspense. Parce que l’enjeu est ailleurs, dans la description. Et à cet exercice, le trait de Laurent Maffre prend toute son importance. Sa façon de croquer les gueules sales, les figures haineuses et les faces de salauds qui composent cette fange ignoble et repoussante. Réinterprétant les cases, travaillant les tatouages corporels évoquant les tourments des bagnards, s’acharnant par le détail à donner une idée de l’enfer, il arrive avec cette œuvre au même niveau de puissance que le PAPILLON de Schaffner. Peu importe alors que l’originalité de son dessin ne frappe pas immédiatement. L’esprit critique qu’il contient se diffuse lentement à chaque coup d’œil jeté.

J.W

L’Homme qui s’évada, de Laurent Maffre, Actes Sud BD, 22€.

 
Pedro et moi de Judd Winick
 

Nous allons nous faire de nouveaux amis

par Vlad

Les gens mélangent tout. Pourtant, l’art et la communication c’est pas la même chose. Ça peut se confondre parfois, mais c’est pas pareil, sinon il y aurait un seul mot pour le dire. Par exemple est-ce que ça vous viendrait à l’idée de dire que telle ou telle édition du JT de 20 h était un chef d’œuvre ? Non personne ne se dit ça. A part peut être quelques techniciens pointus. Est-ce qu’il vous viendrait à l’idée de dire que tel ou tel tract glané en manifestation est une œuvre incontournable ? Non personne ne se dit ça. A part peut-être deux trois trotskistes pointus. D’une manière générale, pour le domaine des films et de l’écrit, les différences entre la communication et l’art sont bien comprises. Pourquoi donc, alors, tout le monde est-il frappé de cécité lorsqu’on aborde la bande dessinée ?

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Car la bande dessinée est un médium, un moyen d’expression, et avec on peut faire ce qu’on veut. De l’art, du distractif, de l’info (ou de la désinformation), ou tout ensemble. En tant que lecteur il suffit juste de ne pas confondre, de savoir à quoi on a affaire.

Il se trouve que beaucoup de lecteurs, de critiques et de libraires s’extasient depuis peu sur un livre extrêmement médiocre et, à force, ce concert d’éloges immérités fini par me taper sur le système. Le titre de ce livre édité chez Çà et là c’est Pedro et moi, d’un certain Judd Winick.

C’est un récit à caractère autobiographique dans le sens où il relate des événements vécus, ou plus précisément il parle de quelqu’un que l’auteur a connu. Judd Winick est un jeune étasunien. Au début des années 90 il a participé à une émission de télé réalité à San Francisco. Un genre de Loft nommé Real World. Là il a rencontré celle qui sera sa future femme et un nommé Pedro. Ce gars-là avait le SIDA. Judd et Pedro sont devenus amis. Pedro s’occupait avec opiniâtreté de la prévention contre la transmission de sa maladie. Pedro s’est battu, puis il est mort. C’est triste. Donc Judd il nous raconte ça et tâche par la même occasion de reprendre le combat de son ami. Son livre coûte 23 € pour environ 180 pages en noir et blanc. Sur ce prix, 1 € est reversé à Sidaction…

Somme toute un bouquin qui a de bonnes intentions, et dont on n’a pas envie de dire du mal. Sauf que de bonnes intentions et de bons sentiments ne ne font pas un bon livre.

Moi je le trouve très mauvais. Je m’explique succinctement ci-dessous …

1) Quiconque souhaite s’informer des risques du SIDA et de ses effets n’en apprendra rien de plus que dans n’importe quelle plaquette gouvernementale ou associative. En ce sens, avec ses digressions bavardes et son sentimentalisme ce livre est moins efficace qu’un tract ou qu’une conférence. L’argument qui pourrait être présenté pour le défendre sous l’angle de « c’est en bd pour toucher les gens qui ne s’informent pas » n’est pas recevable : le livre adopte la présentation d’une production « indépendante » qui n’est pas conçu pour attirer le grand public. C’est épais, verbeux et terne.

2) C’est en effet atrocement mal dessiné, sans aucun souci de composition, avec des personnages interchangeables et des expressions stéréotypées. Avant de passer à la télé, l’auteur avait essayé de devenir bédéaste. Il n’y était pas parvenu. A voir ses dessins, on comprend pourquoi.

3) Sans la téléréalité pour faire connaître l’auteur, ce bouquin n’aurait jamais été publié ! C’est un peu comme si Loana avait écrit un livre… Ah… Ma grand-mère me dit qu’effectivement Loana a écrit un livre…

4) Ce récit n’échappe pas aux défauts hagiographiques de l’éloge funèbre : c’est toujours les meilleurs qui partent… Alalah ! Il était tellement parfait, et courageux et tout et tout. Un modèle pour nous tous, un petit saint. Même que quand Clinton a su que Pedro était mourant, il a lâché Monica, et il lui a passé un coup de fil. Et quand Pedro est mort le président a même ouvert les frontières à sa famille cubaine. Ils ont pu obtenir le statut de réfugiés politiques ! Car Pedro était un bon gars qui faisait des études et était bien intégré. God bless America ! Vendre du papier en faisant pleurer sur la mort de quelqu’un c’est puant. C’est un peu comme si la mère de Marie Trintignant avait écrit un livre… Ah… Ma grand-mère me rappelle que Nadine Trintignant a écrit un livre.

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5) Enfin il est intolérable desaccager une histoire pareille. Ce Judd Winick participe à une méga émission de TV réalité. C’est pas donné à tout le monde. Du jour au lendemain il devient connu. Personne ne voulait de ses bédés et après tout le monde en veut. Il se prétend créateur, donc observateur, et il a l’occasion de faire une super autobiographie et de mener une super réflexion sur la célébrité, la réussite et la notion de mérite… Et de toute cette belle matière... il ne fait rien. Impardonnable.

Les chefs d’œuvre que sont les Pilules Bleues et Maus ne doivent pas leur succès et leur renommée qu’à leur sujet bouleversant. Leur narration aussi est bouleversante. Art Spiegelman et Frederik Peeters rendraient même un caillou émouvant.

Ceux qui veulent vraiment aider la lutte contre le SIDAdevraient plutôt que d’acheter ce livre verser directement 23 € à une association spécialisée comme AIDES ou ActUp. Moi je suis un connard aigri et insensible, mais quand j’ai envie de pleurer un bon coup je regarde La petite maison dans la prairie, je lis pas Voici ! Enfin à l’heure où il est fréquent de pirater des disques pour pouvoir mieux payer des sonneries de portables il ne faut s’étonner de rien.

...

PS (7 juin 2006) : La couverture de l'édition américaine, trouvée sur le site de Winick, ne cherche pas, elle, à nous faire passer le bouquin pour autre chose qu'un sous-produit télévisuel.

 
L'écriture féminine et Persépolis
 

« Je ne crois pas à cette thèse selon laquelle les femmes écrivent différemment des hommes », a dit Marjane Satrapi dans une interview donnée à Michel Edouard Leclerc.

Tout faux ai-je envie de dire à cette charmante artiste qui me semble dès lors n’avoir qu’une vue limitée sur sa propre création. Comme tous les artistes en fait.  En effet, Persépolis fait montre de toutes les caractéristiques de l’écriture féminine reperées dans la littérature intime et les récits de vie. Après, si les théoriciens littéraires et poétiques inspirés par le "fait littéraire" ont faux, forcément moi aussi. Mais soyons positif et partons de l’hypothèse qu’ils ne disent pas que des conneries, et n'ont pas biaisé leur corpus. 

Cet article fait suite à une première analyse des couvertures de Persépolis

1) Persépolis et les théoriciens…

Partons déjà d’un constat : S’il est vrai qu’il n’est jamais évident, voire même pertinent, de traiter de manière théorique l’écriture féminine, dans la pratique, la critique littéraire trouve légitime de réunir dans un même volume des études portant sur des textes aussi différents que la Princesse de Clèves ou Le Ravissement de Lol V. Stein deMarguerite Duras, concluant qu’il existe une parenté que l’on ne trouverait pas dans les écrits d’hommes. Béatrice Didier, plus particulièrement dans ses études Le journal Intime et L’Ecriture-Femme, suggère à plusieurs reprises quatre inclinaisons chez la femme qui semblent admises par la critique littéraire moderne. Attention cependant, il ne s'agit pas de définir une essence de l'écriture féminine, immuable, mais plutot de comprendre si la condition de la femme, qui d'après ces critiques a une forme d'influence reconnaissable sur le processus d'écriture dans une majorité de cas, est visible dans Persépolis.

1.1)L’écriture intime masculine serait volontiers égocentrée tandis que l’écriture intime féminine serait davantage relationnelle. Les femmes se définiraient donc plus facilement à travers le canevas plus large de leurs relations aux autres, et non à travers une recherche introspective et une analyse de soi.

     1.2)Les «lignes de forces communes» qui permettent de reconnaître un écrit féminin proviendraient, au moins en partie, d’une certaine situation de la femme dans la société. Une situation fort variable certes, mais particulièrement pertinente dans le cas d’autobiographies célèbres telles que Marguerite Yourcenar, Gisele Pineau, Assia Djébar ou Leila Sébar…

     1.3)Néanmoins, l’écriture féminine semble presque toujours le lieu d’un conflit entre le désir violent d’écrire et une société qui manifeste à l’égard de la femme soit une hostilité systématique, soit «une forme atténué, mais plus perfide encore, qu’est l’ironie ou la dépréciation»

1.4)« les femmes aiment à écrire leur enfance» dit-elle, avant de développer que cette qualité leur a été bien souvent reprochée. Et qu’il existe deux obstacles au récit d’enfance encore plus difficiles pour la femme à surmonter : le dégagement d’un intérêt concret pour cette période de l’existence considérée comme futile, plus encore son souvenir ; et le courage d’aborder la découverte de la sexualité, plus particulièrement de sa sexualité et de son éveil.

Je crois sincèrement que l’on peut dire sans effarement que ces quatre caractéristiques de l’écriture féminine sont manifestes dans l’œuvre de Marjane Satrapi. Le récit d’enfance, l’éveil à la sexualité, la position de cette femme dans une société musulmane en voie d’intégrisme… sont autant de thèmes à l’origine de son introspection. Si dans l’autobiographie, l’écrivain homme est confronté avec ce qu’il a à dire ; dans Persépolis, Marjane fait, en plus de cela, face à la transgression religieuse fondamentale qu’est le seul fait d’écrire et de prendre la parole, à l’instar d’auteurs comme Assia Djébar ou Leila Sébar dont les œuvres autobiographiques sont toutes entières dédiées à ce thème.

2) Et le dessin dans tout ça…

Je pense que le dessin est la preuve la plus flamboyante de l’écriture féminine chez Marjane Satrapi (pas de commentaire facile sur féminité et simplicité svp). Ceux qui s’intéressent un tant soit peu aux autobiographies en bande dessinée auront remarqué l’égocentrisme marqué des auteurs, dans cet acharnement des hommes à créer une icône de soi détaillée, reconnaissable, et capable de produire un discours identitaire. Lewis Trondheim ou Art Spiegelman et leur anthropomorphisme ou le réalisme de Neaud… la stylisation est le moteur le plus pratique pour créer un personnage qui ressemble à soi, et qui parle de soi. Il n’y aucune de ces volontés chez Marjane. Sa représentation n’a pas vraiment d’autres sens que la représentation, de montrer qu’elle est là. Tout au contraire, elle exprime violemment le besoin des autres pour se raconter.

Et au lieu de charger de détail son visage afin que le lecteur identifie son personnage, Marjane préfère utiliser la case pour s’extraire de ses camarades voilées. Et ce dès la première page du premier volume, où ce que les critique appellent l’espace inter-iconiques (la bande qui sépare les cases) devient littéralement une ligne de démarcation. Plus loin, les scènes de foule, synthèse des bas reliefs iranien et du graphisme de l’enfance, permettent à son autoreprésentation simpliste d’être parfaitement identifiable tout au long des albums, sans jamais avoir recours à la stylisation égocentrique. Marjane ne se définit graphiquement que « par rapport aux autres ». Une démarche qui rejoint complètement les problématiques de l’écriture féminine comme celle de l’indétermination de l’enfant dans la plupart des récits d’enfance.

Entre spontaneïté et lisibilité des commentaires, pour une fois j'ai choisi la lisibilité. Une démarche généralement contraire au Blog. Mais une trop mauvaise communication entre Ronald et moi avait poluée le débat qui suit, intérressant. Du coup, j'ai coupé certains commentaires. Pas de censure, toutes les parties sont d'accord; les idées sont conservées mais c'est bien plus clair ainsi. J'espères que cela ne pertubera pas trop votre lecture.

 
Les couvertures de Persépolis
 

Puisqu'il va être question d'Art et de canasson, une très célèbre mais un peu longue citation de Vassili Kandinsky est de rigueur : "Le cheval porte son cavalier avec vigueur et rapidité. Mais c'est le cavalier qui conduit le cheval. Le talent conduit l'artiste à des hauts sommets avec vigueur et rapidité. Mais c'est l'artiste qui maîtrise son talent."

Par Stéphane

Avant de commencer à lire Persépolis, il peut être intéressant de s’arrêter quelques minutes sur les couvertures pour voir si ce dessin minimaliste est tant dénué de richesse esthétique que certains le disent (il parait que Marjane Satrapi dessine mal mais que ce n‘est pas grave).

Pour ma part, je vois dans l’alignement des quatre cavaliers plusieurs symboles qui attestent, au contraire, qu'elle dessine trés bien.

1- Le cheval :

Comme Bucéphale et Alexandre, ou Rossinante et Don Quichotte, nombreux sont dans la littérature persane les chevaux dont la présence auprès d’un maître prestigieux leur a permis d’atteindre une certaine notoriété (rien de réellement étonnant de la part d’un peuple dont la qualité des destriers est tant vantée). Voici un spécialiste, j’ai nommé Yves Porter dans son livre Chevaux et cavaliers arabes dans les arts d’Orient et d’Occident, sur lequel je m’appuie pour cautionner mes divagations critiques.

« Dans le contexte géo-historique de L’Iran, un héros littéraire, qu’il soit légendaire ou qu’il soit inspiré par un personnage réel, se doit de posséder une monture à son image, dont la constitution et le caractère complète ceux du maître. »

Tout est dit ou presque. L'utilisation en couverture du cheval, symbole fortement ancré dans la tradition persane, signale bien la revendication d’une filiation artistique et culturelle. Mais pas seulement, car en détaillant légèrement chacune des couvertures une à une, en identifiant des petits symboles précis, et en observant ensuite leur déplacement à l’intérieur de chaque dessin, on arrive aussi à déchiffrer la métaphore du cheminement intellectuel de la jeune fille iranienne vers la femme adulte multiculturelle (Qui suis-je ? Et comment je suis devenu Marjane auteur ?)(cliquez bien sur les images pour bien voir les détails évoqués...).Appelons ça...

2-...Les quatre âges de Persépolis:

La première couverture montre un cavalier iranien, la dague sortie au poing droit et le gauche levé en l’air. Très important : le cheval a une robe blanche et des jambes noires. Sur ces sabots, on remarque trois petits ronds. Il s’ébroue ; la charge va partir. Pour ma part, je vois dans ce dessin une allégorie de l’iranité naissante de l’auteur et le début de révolte qui l’anime dès son jeune âge. Une interprétation qui prend surtout du sens dans la comparaison aux couvertures suivantes.

La seconde couverture, le même cheval fonce maintenant au galop, le cavalier brandit son sabre pour attaquer. Evidemment, si l'on poursuit la lecture telle que je l'ai entamée, cette métaphore illustre alors l’adolescence de la jeune femme et la violence de la révolte qui l’anime à cette période.

La troisième couverture, période de l’exil en Europe, est très importante. Une nouvelle monture, à la robe toute noire et aux losanges sur les sabots, est montée par un cavalier européen qui semble appartenir à la garde prussienne. Il fait volte-face aux précédents chevaux et se dirige vers la gauche. Cette figure, en miroir des deux précédentes, est le signe qui permet d’attester la valeur allégorique du travail de l’auteur sur les couvertures (je ne suis pas fou!). Symbole de l’européanisation de Marjane suite à son séjour en Autriche, il fait front aux autres cavaliers, sous-entendu aux valeurs de son éducation iranienne, et attaque à son tour. C’est bien un combat entre influences culturelles qui est au cœur de cette suite de couverture, au coeur de la création identitaire d'une jeune femme écartelé entre Iran et Europe.

Enfin, la quatrième couverture et conclusion montre un cheval à l’arrêt, monté par Marjane elle-même, maintenant adulte et habillée sobrement. Les précédents chevaux, représentations métaphoriques de l’Iran et de L’Europe, ont accouché de ce nouveau destrier métis, à la robe iranienne blanche aux jambes noires, mais aux sabots européens recouverts de losanges. Le harnachement, emblème du mode de guidage, agrège les deux précédents pour former un nouveau modèle, mixte lui aussi. Mais Marjane ne l’a pas saisi. Sa monture est à l’arrêt, dans l’attente que la cavalière prenne les rennes.

Si l’on se propose de faire une lecture autobiographique de ces couvertures, ce que je fais évidemment, il n’est pas idiot d’y voir 1- La métaphore de la création identitaire, multiculturelle et même européo-iranienne pour être précis, de Marjane Satrapi. Un thème cher à la littérature francophone et en particulier de l’exil (deux caractéristiques que l’on trouve bien chez Marjane). 2- Un état de lieu sur la dernière couverture de ce qu’était sa vie avant l’écriture de Persépolis (rien de moins que le but permier de tout autobiographe vous me direz). Marjane, maintenant adulte, n'a pas encore saisi les rennes de cette double nationalité, enfilé son habit de guerrière (d'artiste) pour continuer l'idéal de révolution ou du moins de contestation qui a cours dans sa famille. Mais bientôt viendra Persépolis. Et dans l'écriture, Marjane déchaînera enfin le cavalier qui sommeille en elle.

la seconde partie de ses élugubrations cryptocritiques se trouvent ici