Publications dans Indés
Lucrècia VS Danièle de BALADI ET MEZZO
 

Aux éditions de la Cafetière.

Sorti l'année dernière dans une quasi clandestinité (si l'on fait exception d'une notable dédicace chez Gibert Joseph) nous avons le plaisir de vous présenter le portfolio sérigraphié (3 passages) Lucrècia VS Danièle.  Tiré à 120 exemplaire, il présente le combat de deux catcheuses dans 12 environnements variés. Cette œuvre est dessinée par Mezzo et par Baladi, chacun s'occupant d'une des deux catcheuses et, alternativement, du décor.C'est un bel objet emballé dans l'évocation d'une boîte à pizza. Ce hiatus, entre luxe et culture populaire est à l'image de l'âpreté du combat qui est livré dans ces douze illustrations carrées de 23 cm de côté. La rencontre des deux artistes se fait, elle, dans l'harmonie et il est souvent assez dur de savoir qui a fait quoi.L'éminent critique de BD Michel Dartay, qui ricane en ce moment à mes côtés, me conseille de vanter le caractère sensuel de l'ensemble. Il semble sincère.

L'objet est numéroté et signé sur le fond de la boîte. et son prix est tout simplement de 160 €. On le trouve à Aaapoum Bapoum rue Dante.

 
JOE SACCO DANS LE BELIEVER 5
 

Oui il est arrivé la semaine dernière, le numéro 5 de la revue Le Believer, version française de la revue étatsunienne The Believer, dont nous avons déjà parlé en ces pages. Dans ce numéro daté «Printemps 2014» et sur le contenu duquel nous aurons peut-être l'occasion de revenir plus longuement, nos lecteurs seront particulièrement attirés par l'interview de Joe Sacco.Hélas une boulette dans la présentation vient un peu flétrir le bouquet.

En effet, voulant bien faire, le rédacteur indique le titre français des œuvres de Joe Sacco, mais s'emmêle sérieusement les pinceaux. En effet les deux tomes de Palestine (1993 et 1996 aux EU) furent en effet initialement publié en français par Vertige graphic en deux tomes en 1996 avant d'être réédité par Rackham en un seul volume en 2010. Ainsi Gaza 1956, édité par Futuropolis en 2010 (Footnotes in Gaza, 2009 aux EU) est bien un autre récit, bien distinct de Palestine et nullement la réédition du tome 2 de Vertige Graphic, sous titré, Dans la bande de Gaza ! Aussi dans le corps de l'interview, quand l'on y parle de Palestine, dans la bande de Gaza, c'est la plupart du temps de Gaza 1956 qu'il est question...Cette confusion est évidemment regrettable, mais ainsi éclairés, nos vivaces clients sauront surmonter la difficulté, car Le Believer demeure une excellente revue.

Le Believer #5, éditions Inculte, code EAN : 9791091887113, 15 €.

 
LOCAS ET PALOMAR de Jaime et Gilbert HERNANDEZ
 

LA VIDA SUPER LOCA

Créatures qui ne connaissez pas la série des Love and Rockets des frères Hernandez, vous avez de la chance : de nombreuses heures de lectures bouleversantes vous attendent. Je pourrais vous inonder sous les anecdotes élogieuses pour flatter l’importance historique de ces deux séries que sont Locas et Palomar dans le mouvement de la bande dessinée underground américaine. Je pourrais également m’emballer dans un discours féministe, histoire de rappeler la beauté irradiant dans chacun des gestes de ces héroïnes exceptionnellement fortes. Je pourrais enfin vous décrire par le menu les multiples finesses de cet univers de femmes hispaniques aux nombreux personnages et innombrables ramifications, bondissant dans le passé, le futur, le Mexique, l’Amérique… sans le moins du monde égarer ses lecteurs.

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Le fait est qu’il faudrait trop de place pour faire un éloge exhaustif de ce qui nourrit leurs lectures. Alors je préfère me concentrer sur ce qui domine les miennes : le fatalisme par rapport au malheur.

Le malheur est le poumon de la vie mexicaine, la joie est son foie et le courage son cœur. Le lecteur suit ces jeunes femmes traverser sans fléchir des péripéties qui laisseraient tant d’autres sur le carreau. Viol, meurtre, emprisonnement, misère, famine, injustice… chacune d’entre-elles passe au travers avec la désinvolture de ceux qui ne voient rien d’anormal à cela, de ceux dont le quotidien est tant nourri d’horreurs qu’il n’y a jamais eu d’autres formesde vie imaginables.

De cette quiétude face à l’horreur, de cette résistance naturelle nait une émotion étrange. Au début sourde, car le lecteur se trouve affecté par la distance installée par les personnages. Lui aussi se laisse gagner par cette curieuse indifférence. Du moins en apparence, car le décalage fait inconsciemment son travail. L’émotion, traîtresse, grossit en fait discrètement à mesure qu’avance le récit. Et à un moment, comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase, un drame totalement anodin pour le protagoniste va brutalement le submerger.

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Par exemple lorsque Luba, l’une des figures de proue de Palomar, se drogue, mais se drogue au point de détruire sa jeunesse, son sublime corps de femme et son tempérament de battante qui lui permet de se sortir de tout, lorsque ce personnage que le lecteur aime et suit depuis bientôt cinq livres menace de ne plus être celle pour laquelle il a déjà tant tourné de pages, pensez-vous que la mise en scène devienne larmoyante, ou du moins dramatique? Non, pas le moins du monde. Quelques étoiles dessinées autour de sa cheville dansante et tout est dit : de cette fausse allégresse qui l'anime sous l'emprise de la drogue, de la poésie des frères Hernandez qui illustre le malheur comme d'autres le quotidien, et de ce monde trop humain où la souffrance relève toujours de l'option, mais la douleur, elle, est inévitable.

• PALOMAR 1 et 2, Gilbert Hernandez, édition du Seuil, 12 euros pièce (au lieu des 19 et 22€ initiaux).• LOCAS 1 et 2, Jaime Hernandez, éditions du Seuil, 12 euros pièce (au lieu des 19 et 22€ initiaux).

le 30 avril 2010 à Aaapoum Bapoum

09/03/2014Hélas, mille fois hélas, la manne se tarit et nous venons de recevoir nos tous derniers exemplaires de ces séries. Une fois que ceux-ci vous seront vendus, notre stock s'en trouvera définitivement épuisé. Nous n'en aurons plus! Sauf si l'un d'entre vous, insatisfait de sa lecture, décide de nous rapporter ses propres tomes. Mais nous savons pertinemment que ça n'arrivera pas. Alors c'est sûr. Palomar et Locas se raréfient. Or, vous le savez bien, un cheval bon marché est cher. Le prix et le mode de vente de ces deux séries s'en retrouvent donc bouleversés comme suit: 

PALOMAR, T1 & 2 en pack, 25€LOCAS, T1 & 2, en pack, 30€À côté de ça, nous avons encore quelques nouvelles histoires de la vieille Palomar à 5€ pour compléter.  

 
ARRIVAGE THE HOOCHIE COOCHIE
 

Arrivée simultanée des deux revues du catalogue The Hoochie Coochie : l'épais Turkey Comix n°22 et l'oblong DMPP n°10.

Turkey Comix 22. 280 p. (tiens, ils ont numéroté les pages sur ce livre !), noir & blanc avec un cahier couleurs et un poster couleurs encarté, jaquette en gravure deux passages, 20 €. EAN : 9782916049397. Je ne l'ai pas lu en entier mais j'ai noté la présence de Joe Dog, la férocité de L.L. de Mars, un exorcisme autobiographique de G. Ducatez qui règle certains comptes avec ses parents.

DMPP #10. 216 p. noir & blanc avec un cahier couleurs, 15 €. EAN : 9782916049403. Parmi de nombreuses choses, je me suis penché sur une interview de Ben Katchor, forcément intéressante même si l'homme se montre froidement technique et ne semble pas vouloir déployer en entretien le même humour que dans ses planches. On y apprend plus sur ses œuvres-conférences. On trouve aussi un reportage sur des prostituées en Russie fait par Viktoria Lomasko, une artiste-reporter russe que l'on va prochainement revoir chez The Hoochie Coochie.

Si une partie de la production de The Hoochie Coochie me laisse totalement de glace, on ne peut dénier à cette maison d'édition une grande cohérence éditoriale, une enviable persévérance, la joie d'expérimenter sans se reposer et le souci de faire de beaux livres difficilement séparables de leur condition matérielle. Vous pourrez trouver une grande partie de leur production dans notre boutique de la rue Serpente, avec évidemment ces deux nouveautés.Retrouvez le catalogue de The Hoochie Coochie sur leur site, qui allie efficacité et élégance.

 
ANGUILLE ET MORTIFICATIONS
 

A toi, Auteur que nous n'avons pas su reconnaître convenablement, nous rendons hommage. 10 bonnes minutes après ton passage à la boutique, Lady Stardust a trouvé et Alecs, qui fut ton interlocuteur, a tilté. 10 bonnes minutes trop tard et il ne reste que la frustration à ce pauvre Alex qui conseille ta BD avec ferveur à chaque fois qu'on lui en donne l'opportunité.

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A toi, Valentin Seiche, auteur d'Anguille et baldaquin..

"Revieeeens, reviens, revieeens" pourrez vous entendre doucement entre les rayonnages aujourd'hui tandis que les échos des suppliques d'Alecs s'estompent douloureusement.

 
DANS LES CORDES DE JAMES VANCE ET DAN E. BURR
 

Dans les années 80 le dramaturge étatsunien James Vance se tourna vers la bande dessinée pour raconter, à travers les mésaventures d'un adolescent, l'histoire violente et douloureuse de la Grande Dépression des années trente : c'était Kings in disguise . En France ce roman graphique fut traduit chez Vertige Graphic en 2003 sous le titre Les Rois Vagabonds. Ce récit, servi par le dessin un peu raide mais précis et investi de Dan E. Burr marqua durablement ceux qui s'y plongèrent. Voilà que des années après les auteurs nous offrent la suite de cette histoire.

Dans les cordes (On the Ropes en VO) est en fait le développement d'une pièce que James Vance avait écrite il y a bien longtemps. Quelques années ont passé. Le personnage central des Rois Vagabonds, Fred Block, a grandi et a souffert. Il a finit par rejoindre un cirque ambulant. Ce cirque fait partie d'un programme de la WPA, la Works Progress Administration, une initiative du New Deal visant à créer des emplois tout en divertissant les populations appauvries. Comme on ne va pas tarder à l'apprendre, cette activité nomade est idéal pour le jeune homme qui peut ainsi couvrir ses activités clandestines au service du mouvement ouvrier. La lutte des classes est très violente aux États Unis où le gouvernement et le patronat ont toujours été très vigilants à ne pas laisser se développer un syndicalisme radical. Depuis le dix-neuvième siècle les militants syndicaux en ont fait les frais. Les anarchistes, puis les communistes, furent sévèrement réprimés, par les forces de l'ordre ou par des organisations paramilitaires aux services des grandes entreprises (comme par exemple la fameuse agence Pinkerton) : intimidation, tabassage, emprisonnement, assassinat...

Tous les moyens étaient bons, avec cette violence frontale dont l'histoire des États-Unis est gorgée. Inscrivant leur récit dans ce contexte, les auteurs nous livrent une œuvre ambitieuse où le roman social se mêle au polar et à la description du monde du cirque. Les personnages ont une profondeur qui ne surprendra pas les lecteurs du premier opus et qui permet de dérouler de longues scènes de discussion, où les caractères et les expériences s'affrontent, sans que l'ennui ne puisse pointer son nez. Les 28 € que l'on peut investir dans ce livre ne seront pas gaspillés tant la lecture est roborative. Un bon week-end est nécessaire pour en venir à bout, alors imaginez que vous la coupliez avec les Rois Vagabonds : que du bonheur.

C'est donc aujourd'hui que nous sommes autorisés à mettre en vente cet ouvrage. Ne vous fiez pas à sa couverture, assemblage malheureux de 5 vignettes tristement colorisées. Le contenu est réellement excellent et le dessin de Dan E. Burr, malgré quelques rigidités – qui collent assez bien à l'âpreté de la période – possède la précision nécessaire pour rendre les différentes émotions qu'affrontent les protagonistes.

Dans les Cordes, de James Vance et Dan E. Burr, Vertige Graphic, 264 p. n&b, 28€. Code EAN : 9782849991138

 
PRISONNIER DES AMAZONES DE BORIS HURTEL CHEZ THE HOOCHIE COOCHIE
 

Un infirmier à domicile a une relation amoureuse avec une de ses patientes. Henri n'assume pas tout à fait et la relation capote. Il finit par en perdre son boulot. Improbablement il se retrouve en Amérique latine aux côtés d'une guérilla majoritairement constituée de femmes. Voilà, vite résumée, l'intrigue de ce petit pavé de Boris Hurtel récemment publié chez The Hoochie Coochie.

La première partie, qui expose le quotidien du héros, ses relations aux patients, sa fatigue croissante face au fait que ces derniers ne cessent de lui prêter des livres, est tout à fait passionnante et crédible, y compris et surtout cette irrésistible attraction, un peu auréolée de fantastique, pour Louise... qui est le sosie parfait d'une de ses ex. Toute cette introduction est à la fois inquiétante et drôle.

Je suis moins convaincu par la suite où Henri rejoint un pays imaginaire d'Amérique Latine (une tradition franco-belge plutôt déconnante) où une guérilla affronte le régime. C'est à la fois caricatural tout en semblant rester soucieux de parler de la réalité. Certains aspects relèvent de l'observation de l'humanité et de la société tandis que d'autres s'apparentent à de la bande dessinée d'aventure purement distractive. L'observation du machisme régnant souvent dans des mouvements révolutionnaires pourtant à vocation émancipatrice est assez pertinente, mais les péripéties sexuelles du personnage central sont assez prévisibles : évidemment il va avoir des relations avec des membres féminins de la guérilla, forcément cela va lui causer des problèmes en révélant une certaine hypocrisie générale. Mais au final il m'est difficile de dégager un parti pris dans tout ceci. De là à penser que l'auteur est à l'image de son héros, un peu perdu et sans plan d'ensemble, ni objectif autre que la distraction potache, il n'y a qu'un cheveu, que j'effleure. La dernière partie, avec le consul et l'indien Juan est à nouveau assez enthousiasmante, plus originale et plus rythmée. La veine satirique m'y semble plus assumée, ce qui permet de finir la lecture sur une note plus agréable pour un type qui comme moi aime savoir dans quoi il marche.

Six cases par planche : un style efficace.

Le dessin qui baigne dans l'influence de la gravure sur bois et refuse d'utiliser des pinceaux de moins d'un centimètre est parfaitement cohérent. L'expressivité de cette esthétique est parfois annihilée par son imprécision, si bien que les figures qui en émergent tendent vers le statut d'écrans sur lesquels chacun projette ce qu'il veut ou ce qu'il peut. Ainsi se crée une BD dont vous êtes le dessinateur, comme si un scénariste vous avait fait parvenir un scénario vaguement storyboardé, à l'instar de ce que peuvent faire Ferri ou Cortegianni. Le lecteur se retrouve dans la position du metteur en scène à la lecture d'une pièce de théâtre, ce qui est une expérience enrichissante.

Au final j'ai lu sans déplaisir cet ouvrage, mais il y plane quelque chose qui me dérange et j'ai bien conscience de ne pas être ici parvenu à mettre le doigt dessus. Vous avez l'occasion de vous faire une opinion car ce livre est à vendre, chez nous et ailleurs.

Prisonnier des Amazones de Boris Hurtel, éditions The Hoochie Coochie, 234 planches, 15 €, noir et blanc, EAN : 9782916049373PS : Notons que le sujet Femmes et Guérilla est également traité dans Tintin et les Picaros avec un constat inverse : le chef des guérilleros est dominé par sa femme (qui est tout de même une occidentale). Chez Boris Hurtel les femmes sont dominées par les hommes de la guérilla, avant de se rebeller, et l'occidental, porté par les événements, est dominé par tout le monde.

 
CORNÉLIUS : NOUVEAUTÉS D'AVANT-HIER
 

Tout d'abord un beau livre à l'italienne de Hugues Micol : Providence.Cela ressemble à une succession d'illustration présentant un certain fantasme d'Amérique.Sur la couverture on croirait voir une Ségolène Royal géante et jeune juchée sur un motel. Troublant.

Providence de Hughes Micol

Providence de Hughes Micol

Ensuite le nouveau Ludovic Debeurme, en couleurs : Trois fils.

Trois fils de Debeurme

Trois fils de Debeurme

Massif et épais, 2,775 kg, voici le volume consacré à Gus Bofa : Gus Bofa, l'enchanteur désenchanté, monographie et biographie par Emmanuel Pollaud-Dulian.

Gus Bofa

Gus Bofa

Nous avons aussi eu la réédition de Viva Patamach ! de Killofer et J.-L. Capron initialement publié chez L'Association en 2001. On notera qu'à l'instar des Bolchéviques, les auteurs ont profité de cette nouvelle mouture pour simplifier l'orthographe. En effet on écrivait avant : Viva Pâtàmâch ! Ce qui était effectivement plus vulgaire.Viva Patamach ! 136 p. couleurs, 21,50 €, EAN : 9782360810277.Pour une appréciation du contenu de ces ouvrages, il vous faudra vous débrouiller en allant ailleurs ou vous armer de patience, car pour ma part je n'ai lu que le Patamach et comme c'était il y a douze ans et que je n'avais pas été plus chamboulé que ça, je n'en ai gardé aucun souvenir, si ce n'est que c'était assez drôle et qu'il était agréable d'avoir renoncé au chewing gum bien avant.

 
VILLE RANTA : "L'EXILÉ DU KALEVALA" ET "SEPT SAISONS"
 

1840 année érotique ?

Il y a quelques années un ouvrage du Finlandais Ville Ranta s’était un peu fait remarquer dans le paysage de la BD en France : L’exilé du Kalevala. Le mot « Kalevala » soigneusement glissé dans la version française du titre avait peut-être aidé au moment où sortait une nouvelle traduction du fameux recueil de poésies populaires finnoises à résonances mythologiques. Si Elias Lönnrot, le poète compilateur qui publia le Kalevala dans les années 1830, est bien le protagoniste principal du livre, il ne faut pas oublier que le titre original de la bande dessinée est Kajaani. Kajaani est la bourgade à l’intérieur des terres de ce qui n’était pas encore la Finlande où se déroule une grande partie de l’action. Ainsi le livre ne tourne pas autour d’un seul être, mais s’attache à tout son entourage. Un entourage parfois pesant. Dans l’œuvre de Ville Ranta les lieux sont importants : agglomérations, forêts, plaines, rivières, bords de mer. Êtres et lieux sont liés, même si certains cherchent à se défaire de ces liens. Telle personne cherche à partir de chez elle tandis que telle autre finit par y revenir.

Sept saisons, le nouveau livre de Ville Ranta se déroule en 1840, quelques années après,  à Oulu,  à 200 kilomètres de Kajaani, face à la mer et au golfe de Botnie, de l’autre côté duquel on trouve la Suède. Oulu est aussi la ville où réside l'auteur. Le récit tourne autour de deux personnages. Le premier, Hans Nyman est un jeune veuf, avec deux filles à élever, un poste d'enseignant, un hobby de journaliste et une velléité à devenir pasteur.  Son principal souci est que la mort de sa femme l’a laissé dans un état de solitude où ses pulsions sexuelles l’envahissent. La servante de la famille, Anna, est pourtant toute dévouée à le soutenir. Cependant si cela venait à se savoir, il perdrait toute chance de devenir pasteur.Le second personnage autour duquel tourne ce récit est la belle Maria Piponius, jeune femme encore sans mari, contrairement à sa sœur Kaarina, qu’elle a accompagné dans un voyage autour du monde pendant 3 ans. Elle ne semble pas vouloir époux et dit vouloir «vivre pour Dieu et travailler pour lui». Elle est en effet devenue piétiste. Pourtant son attitude avec Hans, assez aguicheuse, ne correspond pas à la réserve prude que l’on pourrait attendre.

Si à l’époque de L’exilé du Kalevala, le dessin de Ranta, sans doute encore sous influence décontractée de Joann Sfar, manquait parfois de clarté, il faut reconnaître que tous ses efforts de non-compromis avec la séduction immédiate du public ont fini par porter et que son dessin qui ne cherchait jamais la facilité des plans a fini par acquérir une sorte de lisibilité naturelle. Il faut dire que l’emploi de la couleur aide beaucoup. Auparavant Ranta cherchait à rendre les nuances de la neige, du clair-obscur des intérieurs faiblement éclairés, de la pénombre nocturne des sous-bois au clair de lune, par utilisation du seul noir et blanc, sans le recours à la moindre teinte intermédiaire. Forcément ce n’est pas évident. Mais j’ai coutume de penser que quand tu as bien essayé de creuser un tunnel avec une petite cuillère, tu deviens un formidable manipulateur de pelle lorsque tu finis par en trouver une. Ainsi Sept saisons se lit avec une grande aisance et un grand plaisir.

Le lecteur de L’exilé retrouvera  dans le nouvel opus la qualité des dialogues auquel il est habitué. Les propos les plus tenus sont ici réfléchis ; jamais gratuits malgré leur apparence anodine.  Les personnages ont l’air réels. Leurs motivations sont parfois obscures mais leurs réactions semblent  parfaitement naturelles. Cette attention portée aux petits détails de l’expression des corps et des personnalités confère à l’œuvre de Ranta une dimension proprement romanesque et littéraire.

Pour conclure en une énumération on pourrait aussi rappeler qu’il y a beaucoup d’humour dans ce dessin, beaucoup de chaleur dans ces scènes de sexe, beaucoup de talent de direction d’acteur dans les expressions de ces personnages et beaucoup de poésie dans cette façon d’aborder les paysages comme un baume pour les tourments de l’esprit.

Ville Ranta sera donc en dédicace chez nous le mardi 15 octobre 2013, à partir de 18h. les deux livres sont en vente chez nous depuis avant-hier.

L’exilé du Kalevala , 288 p. n&b, 22,40 € code EAN : 9782916207407 première édition en Finlande : 2008. Première édition en France : 2010.

Sept saisons, 268 p. couleurs, 23 € code EAN : 9782916207896 Première édition en Finlande et en France : 2013 !Les deux ouvrages sont édités par Çà & là et traduits par Kirsi Kinnunen et sont disponibles à la vente à distance sur la partie boutique de notre site.

 
INFERNO DE MARCEL RUIJTERS
 

Aux éditions The Hoochie Coochie

Je n'ai que dix minutes pour vous dire que j'ai lu la dernière nouveauté arrivée sur nos tables. Il s'agit de Inferno de Marcel Ruijters, dont on a déjà pu croiser les œuvres dans les Turkey Comix ou aux éditions de l'an 2. Ce garçon semble obsédé par le Moyen-Âge et les nonnes. Il a naturellement lu la Divine Comédie de Dante et s'est dit qu'une de ses missions était de se l'approprier à travers une bande-dessinée de sa main. Les codes graphiques sont très au point, c'est beau, bien imprimé, drôle et agréable à lire. Je ne suis pas sûr que ce soit très profond mais c'est très distrayant. Je dois confesser qu'à 40 ans je n'ai toujours pas lu la Divine Comédie, aussi je manque de recul pour juger du travail opéré sur le matériel original. Reste que cette déambulation de Danta et Virgilia (oui c'est l'Enfer au féminin, les hommes ne méritant apparemment pas le statut d'êtres humains et leur âme trop grossière ne pouvant guère être châtiée avec raffinement) à travers les cercles infernaux m'a mis de bonne humeur.

Inferno de Ruijters

Inferno de Ruijters

Inferno de Marcel Ruijters, 20 €. ISBN : 9782916049359. Beau noir et blanc et très belle jaquette qui garde bien les traces de doigts. Pas de numérotation des pages comme d'hab' chez THC.