Publications dans Patrimoine
Pravda (1968-...)
 

Les survireuses sont éternelles

Guy Peellaert est mort lundi comme je l'apprends sur ActuaBD.

Pravda la survireuse (Losfeld, 1968, une hisoire coécrite par Pascal Thomas) fait partie dela poignée de BD pour laquelle je n'ai aucune objectivité. L'ayant lueet relue sous toutes les coutures durant mon enfance,  avant même demaîtriser l'alphabet, ses planches sont à mes yeux chargées d'unmystère frôlant le divin. Certes l'aspect sexuel n'est pas étranger àcette fascination. Je sentais bien qu'il se passait en moi desréactions inédites à la vue de ces chairs tantôt criardes ou blafardes,de ces poses lascives... Assurément c'était une lecture qu'il étaitconvenable de faire isolé, dans le recueillement d'un bureausilencieux, dans un coin de bibliothèque quand la lumière oblique dusoleil transforme la poussière en paillettes d'or suspendues. Maisle frisson pré-érotique ne peut seul élucider la portée de ces images,de ces péripéties étranges, de ces activités incongrues, de cesrapports de force dévoyés...

Une chose est sûre. Pour moi il n'y a aucun humour dans Pravda.Ce n'est pas un bouquin rigolo, qu'on s'achète parce "c'est fun".Pravda c'est sérieux, il faut s'y immerger ou ne pas y toucher. Vaderetro amateurs de kitsch et de gaudriole ! Passez votre chemin,vampires de sofa !

Le Seuil doit rééditer Pravda le 15 décembre 2008. Un tempsbradée à 10 francs chez Boulinier, l'édition originale était devenueassez onéreuse (difficile de s'en sortir pour moins de 50 euros, etencore pas chez nous), c'est donc une bonne nouvelle : ceux qui neconnaissent pas pourront se faire un avis. Espérons que la qualité del'objet soit à la hauteur de l'événement. Éditeurs, le monde vousregarde.

Peellaert c'est aussi celui qui signa les pochettes de plusieursdisques qui sont des jalons de mon histoire personnelle. Mais trêved'épanchement, je vous laisse, qu'on ne me dérange pas.

 
Les bretelles de Tintin
 

Lisibilité et cohérence

Les héros de BD se doivent d'être reconnaissables avec aisance. Plus que leurs cousins de littérature et de cinéma, il faut qu'ils soient immédiatement identifiables. Ainsi classiquement, chaque personnage récurrent se voit affublé d'une panoplie, qu'il s'agisse d'un héros costumé ou non. Les héros de BD sont toujours habillés pareil. Possèdent-ils chaque pièce de leur équipement en un nombre considérable d'exemplaires (à l'instar de Schwarzenegger dans Last Action Hero), font-ils une grande lessive entre chaque épisode ou sont-ils simplement crados ? Difficile de trancher. Ce qui est sûr, c'est que le changement de costume est toujours signe d'aventure, de danger, de circonstances liées à ce qui est en train de se dérouler sous les yeux du lecteur et surtout... temporaire. Ce n'est pas pour rien qu'un des plus célèbres des héros de BD a mis plus de 40 ans avant de timidement troquer ses pantalons de golf pour des jeans de la même teinte.

Il est connu que les albums de Tintin furent souvent remaniés par Hergé, afin de les moderniser, d'en corriger les éventuelles erreurs. Ces infimes nuances ne peuvent qu'encourager les collectionneurs dans leur compulsive passion. Certaines des aventures de Tintin, à partir du Temple du soleil furent prépubliées dans le Journal Tintin (dit aussi Journal de Tintin) sur la double page centrale. Ainsi, le plus ou moins jeune lecteur découvrait au cœur de son hebdo, trois magnifiques strips à l'italienne. Passer de ces trois strips à l'italienne à une planche classique de quatre strips pour la version album est une opération délicate qui nécessite de nombreux remontages et élagages. Ainsi des portions d'images, voire des cases entières peuvent disparaître. Un album Casterman, réédité en 2003, permet de constater ces modifications pour Le Temple du soleil, dont il reprend la version journal.

Récemment, je feuilletais de vieux Journal Tintin du milieu des années cinquante et m'amusais à constater les différences entre la "version originale" à l'italienne de L'affaire Tournesol et son édition album (L'affaire  Tournesol fut publiée du n°328 de février 1955 au n°389 du 5 avril 1956 de l'édition française de l'hebdomadaire)... Outre des cases qui m'étaient jusque là inconnues, une bizarrerie surgit avec force : dans une vignette de la planche 58 Tintin ne porte pas la panoplie habituelle que je m'attendais à lui trouver. Au lieu de son pantalon de golf marron, on lui voit un pantalon bleu soutenu par des bretelles... Je me reporte à l'album : il y arbore bien son pantalon de golf. Dans la séquence précédente Tintin et Haddock étaient travestis, tâchant de se faire passer pour des délégués de la Croix-Rouge afin de faire évader Tournesol. Dans la version album, Tintin commence à se changer au cours de la poursuite en voiture, ce qui lui permet d'avoir retrouvé sa panoplie après l'accident, alors que dans la version journal, il est encore à moitié déguisé après l'accident. Pourquoi ce subtil changement ?

La réponse semble évidente lorsque l'on a l'album entre les mains (ce que je vous conseille de faire) : c'est effectivement ce moment qui fut choisi pour en constituer la couverture. Scène vue à travers la brisure d'un aplat jaune, forte diagonale verte, Tintin de dos (comme sur seulement trois autres couvertures de la série)... Sans doute Hergé a-t-il jugé son visuel suffisamment déroutant sans, en plus, changer la panoplie de son héros. On remarque au passage que si Haddock garde alors son déguisement, il retrouve dans la version album des couleurs qui lui sont plus coutumières, le pardessus du déguisement passant de marron à bleu marine. Ainsi par souci de lisibilité, Hergé supprime les bretelles de la couverture et par rigueur et souci de cohérence, il les ôte aussi de la scène correspondante. D'ailleurs, la seule case qui montrait le bas du déguisement de Tintin et ses jambes de pantalon a également été retirée de la version album, si bien qu'on peut penser qu'il avait gardé son pantalon de golf, ce qui évite de heurter la vraisemblance avec un conducteur changeant de culotte pendant que son véhicule fait des tonneaux. Voilà un auteur qui avait le souci du détail !

Ci-dessous vous pourrez lire la Charte d'utilisation des visuels de l'œuvre d'Hergé énoncée par la société Moulinsart, qu'il est toujours utile de connaître quand on ne veut pas de problèmes  (charte trouvée sur objectiftintin.com, un site qui connut récemment quelques bouleversements...).

Charte d'utilisation des visuels de l'Œuvre d'Hergé

Afin de préserver l'intégrité de l'œuvre d'Hergé tant au niveau destextes que du trait et des couleurs, la SA Moulinsart interditformellement et de manière absolue toute modification, retouche,adaptation, interprétation artistique, collage et autre reproductionnon autorisée, sous quelque forme que ce soit (numérisation,photocopie, etc) et sur tous supports généralement quelconques, desnoms, personnages, objets et autres symboles extraits de cette œuvre.

De plus, la reproduction des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé est soumise aux conditions suivantes :

* Le copyright suivant doit être mentionné distinctement à proximité de tous les visuels de l'œuvre d'Hergé reproduits :

© Hergé/Moulinsart 2007

* Il est strictement interdit :

- de reproduire des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé pour illustrerdes thèmes liés à l'argent, à la politique, au monde médical ouparamédical, au sexe, aux armes, à l'alcool, à la drogue et au tabac ;

- de reproduire des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé sur lacouverture d'un magazine si l'article ou le dossier consacré à Hergé età son œuvre est inférieur à trois pages A4, illustrations noncomprises ;

- de reproduire des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé sur lacouverture d'un livre consacré, en partie ou entièrement, à Hergé et àson œuvre sans l'autorisation préalable de la SA Moulinsart ;

- de reproduire de manière isolée des éléments des couvertures d'albums de l'œuvre d'Hergé ;

- de reproduire tout ou partie de la galerie de portraits figurant sur les deuxième et troisième de couverture ;

- de modifier le texte original des phylactères, couvertures, etc. oud'ajouter un texte quelconque au(x) visuel(s) sélectionné(s) ;

- d'utiliser la police de caractères (typographie) d'Hergé en dehors dela reproduction des visuels sur lesquels elle est utilisée ;

- de modifier les couleurs, le trait ou l'orientation de l'image (parex.: si Tintin regarde vers la gauche, ne pas retourner l'image demanière à ce qu'il regarde vers la droite) ;

- de réaliser des collages ou des superpositions (les visuels nepeuvent couvrir ni être couverts par une autre image ou du texte) ;

- d'associer des visuels extraits de l'œuvre d'Hergé à des visuelsextraits de l'œuvre d'un autre auteur et ce, à des finspromotionnelles ou commerciales ;

- de reconstituer un strip de plusieurs vignettes n'existant pas dansl'œuvre originale - le changement de l'ordre des vignettes ainsi quela composition d'un strip à l'aide de vignettes qui ne respectent pasl'ordre initial de l'œuvre originale ne sont pas autorisés ;

- de redessiner des visuels, y compris pour un modèle, une peinture, une sculpture.

D'une manière générale, les visuels fournis par le Studio Moulinsartdevront être utilisés tels quels, sans y apporter de modification oud'adaptation.

 
Opération Mort de Shigeru Mizuki
 

À cumuler les lectures en mode automatique, on glisse sur les images sans leur laisser le temps d’accrocher votre rétine, encore moins le cerveau ingrat qui s’abrite derrière. À cumuler les métiers dans le milieu du livre, l’on devient mauvais lecteur. Du moins mauvais lecteur pour soi, en ce sens que l’activité ne vous nourrit plus de la même manière. C’est un triste constat mais, ces derniers temps, je ne laisse plus les mots et les images m’imprégner, je ne leur laisse plus jouer leur rôle fondateur.

Si j’évoque ce gâchis, c’est parce qu’il arrive qu’une image surmonte d’elle-même ce marasme et vous percute de plein fouet, contourne votre passivité et vous réveille. Ces images, vous l’imaginez, ne courent pas les rues. Alors quand l'on en rencontre une, il faut la partager (plus encore lorsque l’on vend le livre qui l’abrite dans son magasin), histoire de lui dire merci pour le coup de semonce qu’elle vient de vous envoyer.

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Un soldat au corps grotesque explosant sous le coup d’une bombe, image si paradoxale dans son traitement de l’horreur qu’elle m’a tout simplement prise au dépourvu Au moment même où j’écris ce texte, et alors même que je ne l’ai pas sous les yeux, je revois cette tête catapultée en diagonale vers la droite, l’expression contrite de cet homme mort, le saugrenu d’un fragment de chair intact dénonçant l’absence d’un corps disparu ou disparaissant (on ne saisit jamais exactement la trame du temps lors d’une explosion de bande dessinée). Elle est venue enrichir tout un imaginaire sur la boucherie de la guerre que je me suis constitué à force de films, photos, et même bandes dessinées, en ébranlant par son audace comique la gravité graphique qui accompagne de coutume le sujet. Cela faisait longtemps que le spectacle de la mort ne m'était pas apparu aussi terrible, éreintant.

Pourtant, si elle fait sens d’une manière générale sur le sujet de la guerre, c'est plus encore pour ce qu'elle apporte comme éclaircissement sur l’imaginaire de l'auteur qu'elle m'a, dans un second temps, bousculé, appuyant sur son obsession latente pour le corps maltraité. Chez Mizuki, l’être explose, devient difforme et monstre, mais avec une gravité secrète et noble, sans épanchement. Le masque d’un trait simple, flirtant avec le grotesque vient volontairement désarmer  la souffrance qu’il y a à illustrer un objet mort mais encore mouvant, qu’il soit yôkaï ou soldat sacrifié sur le front pacifique. Je ne m’en étais jamais rendu compte, mais il flotte en permanence comme une mélancolie derrière son ode  joyeuse au fantastique, une ambigüité discrètement instillée dans sa modernisation du folklore. D’ailleurs, rien qu’à l’écrire, je me sens d’un seul coup idiot. Car que pourrait-il y avoir d’autre, dans cet empressement à populariser et moderniser les différentes expressions de la monstruosité, si ce n’est le désir de se sentir un peu moins seul, et un peu plus en phase avec son temps.

Opération Mort, sorti il y a dix jours, est nommée au prix du patrimoine au festival d'Angoulême, et en vente dans nos vénérables échoppes pour la modique somme de 27 euros. C'est dire si nous vous le recommandons chaudement.

 
Le charme désuet des réclames d'antan
 

Conseils à un jeune libraire

S'il y a quelque chose sur laquelle tu pourras toujours compter, c'est bien le soutien de tes collègues. Ils auront souvent une attention touchante pour toi. Par exemple, reconnaissant ta grande capacité d'expertise ils t'honoreront par une jolie pile laissée à ton attention, qui illuminera ton regard matinal en ouvrant la porte de la librairie...Oh comme c'est gentil à vous de m'avoir laissé à trier cette pile de vieux journaux défraîchis des années soixante... Vous savez me faire plaisir, vous connaissez mon goût prononcé pour la poussière et les ouvrages dur à manipuler ! Vous respectez mon goût pour le labeur de fond et mon attirance pour le travail inutile !

Quelle joie en effet de vérifier page après page ces vieux Journal de Mickey, afin de m'assurer qu'ils sont bien complets, avant de les dépoussiérer, de leur découper des petits cartons de soutien ("backings boards" disent les yankees) et d'empaqueter le tout, car ces petites choses sont molles et fragiles, pour finir par leur appliquer à chacun une étiquette ornée d'un prix dérisoire (1 ou 2 €).

La publicité pour les caramels mous enrobés de chocolat est extraite du Journal de Mickey nouvelle série n°670 (1965).

Sous une apparence ingrate ce travail méticuleux te permettra de faire de belles découvertes au fil des lignes d'une actualité déchue. Ainsi ces pages d'un  roman inédit de H. Rider Haggard, Les dieux de la glace, dans lequel le narrateur,  en respirant les fumées d'une herbe africaine –le "Taduki"– se croit transporté en des temps reculés, dans une région polaire où vit une tribu gouvernée par le chasseur Wi. Un peu plus loin tes yeux se régaleront devant ces pages méconnues de Paul Gillon, sur des scénarii de Jean Canolle inspirés de la série télé adaptée par lui-même de son propre roman, Le temps des copains. Parfois ton esprit sera happé par le courrier de jeunes lecteurs désormais vieux ou par de si sympathiques publicités de ce bon vieux temps.

 
Hommage à Newman
 

Il y a les œuvres mémorables, et les autres...

A la mort de Paul Newman, je fustriste, comme beaucoup. Mais plus encore par la filmographie sélectionnée parles chroniqueurs en charge de sa nécrologie. A quoi sert d’avoir été unbrillant acteur et un modèle d’engagement politique si c’est pour qu’onn’inscrive qu’en fin de colonne (lorsqu’ils ne sont pas carrément ignorés) lesmerveilleux Luke la main froide ou La chatte sur un toit brûlant, loinderrière les amusants mais beaucoup plus négligeables LArnaque ou la Couleur de l’argent.

Et ce n’est rien lorsque l’onpense que ces incultes scribouillards n’ont guère fait mention des Aventures  de BobHughes, curiosité de la bande dessinée pornographique dont il n’y auraitprobablement pas grand-chose à sauver si cette étoileau regard océan n’y apparaissait pas dans son plus beau costume. Heureusement, lesarchéologues nécrophages d’Aaapoum Bapoum sont là. Grâce à eux, il ne vous encoûtera que dix euros le rare ouvrage, désormais tout autantutilitaire que mausolée grotesque de l’une des grandes icônes du vingtièmesiècle.

Enfin, après avoir bien rigolépour peu de frais, voire une petite excitation si vraiment vous êtes un peupervers, vous pourrez poussez la promenade de quelques rues et vous arrêtez àla Filmothèque du Quartier latin pour voir l’un des rares films réalisés par Newman,De l’influence des rayons gamma sur lecomportement des marguerites. Une magnifique entreprise artistique etfamiliale dans laquelle le réalisateur décrit la misère sociale américaine touten scrutant amoureusement sa femme et sa fille. Le plus beau film vu depuisbien longtemps, et la preuve éclatante que l’étrange douceur de son regard bleun’était pas un artifice esthétique, mais le reflet sincère d’un esprit généreuxet sensible.

 
Quizz : le mystère des nattes
 

Quelque chose d'anormal ?

Pour faire plaisir à nos lecteurs et aussi dans l'urgence d'écraser au plus vite la saugrenue et très laide bande-annonce déposée précédemment comme une crotte de caniche sur un trottoir de la rue Dante, voici un nouvel extrait mystère.

Qui saura reconnaître en premier l'auteur précoce des 3 strips ci-dessous ?

 
L'infirmière mystère !
 

La jeunesse a ses péchés que la vieillesse préfère sans doute oublier...

Une nuit de garde pour le docteur Anne, un blessé admis en urgence, il doit être opéré... Las, le professeur Dulin reste injoignable, Anne prend la décision de remplacer le chirurgien, risquant de provoquer la colère du grand patron de la clinique...

Et ce malgré la mise en garde de l'infirmière... Qui est ce mystérieux blessé ? Comment va réagir le professeur Dulin ? Anne gagnera-t-elle son estime ?

Ce récit de neuf planches, comportant de superbes a-plats couleurs so seventies, doté d'un suspense narratif équivalent à l'encéphalogramme d'une vache sous valium,  paru dans un magazine du début des années 70, est franchement dénué d'un quelconque intérêt fictionnel... Mais...Regardez attentivement cet extrait de l'histoire, examinez cette œuvre issue des mains d'un dessinateur débutant, considéré depuis, de façon unanime, tant par la profession que par les lecteurs, comme l'un des meilleurs auteurs franco-belges de ces trente dernières années.

Oui, mais lequel... Non ce n'est ni Zep ni Bilal...

 
L'art de la BD : John Severin, éditions Campus
 

Un vétéran discret

John Severin est un vieux soldat de la bande dessinée américaine. Né en 1921, il a surtout appliqué son talent aux récits de guerre et aux westerns, mais sa longue carrière le vit aussi œuvrer dans le fantastique, l'humour ou le récit de super héros. En effet, depuis les années cinquante son nom est associé à toutes les entreprises d'envergure dans le monde des comics : il était là au lancement des EC comics, au début de Mad, à la génèse de Creepy et Eerie... et au début des Marvel Comics de Stan Lee. Ainsi il travailla beaucoup sur Sgt. Fury and his Howling Commandos, la "jeunesse" de Nick Fury contre les nazis. Dans les années soixante-dix il encrait les dos musculeux de Hulk et de Kull The Conqueror (dans ce cas sur des dessins de sa sœur)... Mais le vétéran n'est pas resté sur la touche... Plus récemment on l'a vu retravailler pour Marvel — avec des scénaristes aussi tendance que Garth Ennis (Punisher - Max) et Ed Brubaker (Iron Fist) — et pour DC sur Desperadoes...

L'anthologie "L'art de la BD" que lui consacrèrent les éditions Campus en 1983 est assez orientée sur le genre fantastique, même s'il s'agit la plupart du temps de récits hybrides : westerns fantastiques, récits de guerre horrifiques, science-fiction humoristique... 7 nouvelles d'origines diverses nous sont ainsi données à déguster. Le dessin se déploie avec constance. Riche en détails,il ne néglige aucun élément du cadre, semblant appliquer à toutes choses la même attention professionnelle. Les effets sont dosés avec le soin culinaire du gourmet qui ne veut pas gâter la sauce d'une bonne intrigue par un excès de condiments.Toujours à hauteur d'homme, sa posture modeste peut parfois accoucher de planches ronronnantes quand l'histoire est faible (en l'occurrence la dernière du recueil) mais les personnages y sont toujours crédibles.

Cette anthologie de 66 pages, morceau compact de l'aventure du neuvième art, est un salutaire aperçu du travail d'un artiste méconnu, talentueux et discret. En plus chez nous il suffit d'un euro (1 € !) pour se l'acheter. Deux bémols tout de même concernant l'objet :

1) la qualité de l'impression en noir et blanc est nettement moins bonne que pour les précédents numéros de la collection, et ne rend pas hommage aux nuances de l'encrage qui utilise parfois des teintes intermédiaires, en lavis et crayon ou en trames...

2) les dates de publications originales, les titres originaux ainsi que les supports initiaux des nouvelles n'y sont pas clairement identifiées.

On parle aussi un peu de John Severin dans cette note postérieure :

Punisher Max n°6 : Le Tigre par Garth Ennis

 
L'art de la BD : Heath + Fernandez + Matena, éditions Campus
 

Un recueil cosmopolite

Après un mois de silence, dû pour ma part à un visionnage intensif de The Wire, nous revoilà pour exhumer des vieilleries.

En 1982 les éditions Campus entamèrent la publication d'une revue modestement intitulée "L'art de la B.D.". Son principe était à chaque numéro de proposer en 66 pages une sélection de nouvelles d'un auteur. Le tout dans un noir et blanc fort correctement imprimé. Il n'y eu que 4 numéros. Les trois premiers furent regroupés dans une reliure. Sont ainsi rassemblés trois auteurs d'horizons forts différents.

Russ Heath, Fernando Fernandez et Dick Matena.

Le premier est étasunien, le deuxième est un espagnol qui a travaillé en Argentine et le dernier, bien connu de nos lecteurs pour son hommage à Astérix, appartient à la catégorie des Hollandais inclassables.

Ces trois artistes parcourent chacun une veine différente  du dessin réaliste. Heath privilégie l'outrance des attitudes et des expressions et ses ombres usent pleinement de leur fonction d'accentuation.

Fernando Fernandez, dont l'adaptation de Dracula est assez appréciée des amateurs d'épanchement chromatique, s'adonne lui totalement à son inclinaison pour la luxuriance décorative. Le maniérisme de ses planches  et de ses volutes graphiques n'entame pas la force de son dessin. Un calviniste de l'œil pourrait certes lui reprocher une certaine futilité et une volonté démonstrative immodeste... 

Ce serait oublier que l'hidalgo semble prendre un grand plaisir sur ses planches et que sa jubilation est communicative. S'il enlumine ses propres histoires là où Heath se met au service des textes d'autrui (Archie Goodwin, Bruce Jones...) les deux hommes arpentent le même genre : l'historiette fantastique moraliste et édifiante. Mais Heath a volontiers recours à l'humour quand Fernandez teinte tout d'une nostalgie désespérée. Même cette curieuse histoire d'un homme dont l'âme pue (littéralement) ne prête jamais à sourire, alors qu'on imagine ce qu'elle aurait pu donner entre les mains d'un Larcenet ou d'un Edika...

Dick Matena, le troisième embarqué de ce recueil, creuse lui un sillon moins identifiable. Ses inspirations disparates peuvent l'amener aussi bien à des histoires de science-fiction absurde ou cynique, qu'à une transposition futuriste du roman noir, ou à des espaces confinés, emplis d'un tension sexuelle malsaine et de pantins théâtraux. Ses planches expriment une distance froide qui est accentuée par un dessin qui semble chercher à polir la moindre de ses aspérités, à ramener objets et êtres vivants à l'état de galets. Il faut noter au passage que si le vivant et le minéral semblent être traité de la même façon par Matena, le règne végétal est le parent pauvre de son œuvre, réduit dans ses rares occurrences à ses formes périphériques que sont les champignons et les cactus. Dans l'ouvrage qui nous importe ici il y a même une histoire ou la végétation (résumée en ombres chinoises et tentacules) est clairement identifiée comme l'ennemi : "Ce sont des plantes carnivores ! Elles gardent les restes pour plus tard !" (dans Intermède 1).

Cette reliure, dont une belle pile nous est échue, est vendue chez nous pour la somme modique de 3€. Trois euros pour 198 pages de belle BD en noir et blanc ça mérite de passer outre la laideur de la couverture et du logo, non ? De plus la largeur de cet ouvrage n'excède pas 1,5 cm... c'est-à-dire qu'il prend la même place que, par exemple, la moitié de l'œuvre d'Aurelia Aurita.

 
Joe Kubert (1) : face aux Viêt Công !
 

Tales of the Green Beret - Forces spéciales

"Je dois y retourner, pour sentir le souffle glacé de la mort dans mon dos"

Bien que, selon ses dires, lorsqu'il débuta dans le métier il ne fut "pas particulièrement intéressé par les histoires de guerre", c'est bien dans ce genre que Joe Kubert gagna ses galons de maître de la bande dessinée et qu'il se fit connaître par ici.

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Si son style est encore balbutiant aux débuts du Sergent Rock — série emblématique des comics de guerre dont nous reparlerons en ces pages — lorsqu'il aborde les Tales of the Green Beret, il est en pleine possession de sa puissance graphique. Ce comic strip, publié quotidiennement dans le Chicago tribune de 1965 à 1967, en pleine guerre du Vietnam, narre les exploits meurtriers des forces spéciales communément appelées "les bérets verts". Ce corps d'armée menait les "missions irrégulières" les moins moralement prestigieuses, si cette litote peut être avancée.

Je ne commenterai pas le propos de ces histoires, scénarisées par Robin Moore : l'outrance sans nuances de cette propagande impérialiste suffit à en désamorcer le venin. Notons tout de même que, béatement confiant  dans la justesse de l'intervention américaine, Tales of the Green Beret revendique ce qui d'habitude est voilé et laisse entrevoir la réalité d'une guerre : enlèvements, assassinats, trafic de drogue, utilisation des journalistes à des fins idéologiques...

Sans doute amené à mobiliser toute son énergie pour tenir le rythme des daily strips, le trait de Kubert est vibrant et dynamique, son pinceau nerveux répartit avec joie le noir des scènes nocturnes, suggère avec peu la pluie et la jungle, brosse avec admiration les plis des faces viriles... De manière évidente le dessin de Joe Kubert apparaît ici comme l'intermédiaire entre Milton Caniff et Jordi Bernet. Ferme et souple. "Il y a dans son dessin un dynamisme et une spontanéité qui lui ont toujours fait éviter les pièges d'un académisme pesant et laborieux" notera pertinemment Jacques Lob.

Si, format strip oblige, le découpage du maître ne peut ici être aussi inventif que dans son Enemy Ace, créé à la même époque pour DC comics (publié en France dans un magnifique album des éditions du  Fromage, sous le titre Le Baron rouge, 1978) il reste très captivant par la succession de plans d'ensemble et de gros plans, par la simple efficacité de ses cadrages. Les qualités graphiques de Kubert fluidifient en effet une narration qui souffre de ce rythme si particulier des récits en strips : une progression par bonds elliptiques qui évoque le diaporama.

En France les éditions Gilou commencèrent à traduire en 1986 Tales of the Green Beret sous le titre de Forces spéciales, surtitré "Bérets verts 1 -Vietnam". Desservi par une couverture hideuse et, à mon goût, par une mise en couleur superflue, l'ouvrage ne doit pas avoir rencontré un grand succès car personne ne semble avoir eu l'envie d'éditer la suite. l'album ne reprend en effet que les deux premières des huit histoires dessinées par Kubert.

Par delà ses qualités et défauts, si je tenais à commencer une série d'articles sur Kubert par ce Forces spéciales, c'est pour vous proposer un petit jeu à découvrir ci-dessous...

A la lecture du Gilou, quel ne fut pas monétonnement de découvrir, enpage 34, les cases reproduites ci-contre détaillant une halte desvaleureux guerriers. Comme il me semble peut probable que Kubert sesoit amusé à glisser une référence à Franquin et que nous devonscertainement cette facétie à l'équipe de Gilou, je suis curieux deconnaître le dialogue original. Ainsi nous offrons 10 € de bon d'achatau lecteur qui nous le présentera. Question subsidiaire : que signifieréellement con khỉ en vietnamien ?