Publications dans Patrimoine
Totentanz et Histoires extraordinaires par Dino Battaglia
 

La rencontres des grands classiques du Fantastique et d'un maître de la bande dessinée italien.

 Envie de frayeurs ? Alors n’hésitez pas à vous procurez les Histoires Extraordinaires et TotenTanz de Dino Battaglia. Par-dessus ces classiques, adaptés soit des légendes populaires soit des nouvelles d’Edgar Allan Poe, Battaglia appose ses matières vaporeuses, ses griffes et ses lézardes d’encre de chine, ses clairs-obscurs expressionnistes. Mais surtout, c’est son sens du cadrage et son utilisation de la typographie qui font de lui un vrai auteur de bande dessinée, et un parfait flatteur de l’angoisse.

Dès que le « mal » pénètre la page, ce grand technicien, contemporain de Pratt, saccade le trait, le nourrit des brisures imprévues, d’irrégularités stressantes. Les lettres perdent leur régularité, flottant hors case, libres dans la page, parole de la folie ou de la transe. Et les corps des pauvres bougres pris dans les mailles de l’intrigue perdent soudainement de cette majesté graphique qu’on croirait héritée de Mucha, sorte de grâce ou de cette noblesse mise en valeur par la droiture des corps et l’amour des tissus à motifs, mais détériorée par le trait.

Battaglia est clairement un immense faiseur d’atmosphère et il les construit précisément avec les outils de son art, la bande dessinée. En ce sens, il n’est pas loin d’un Breccia par exemple avec qui il partage certains codes graphiques. Bref, si vous les concepts « d’adaptation » et de « spécificités de la bande dessinée » font sens pour vous, que vous êtes amateur de fantastique dans son traitement le plus littéraire, et amoureux de beaux noir et blanc, alors n’hésitez pas à vous procurez ces deux livres dans nos échoppes. A 10 euros le volume au lieu de 18, ils constituent de surcroit de très bonnes affaires à durée limitée…

-  Totentanz, 64 pages, Vertige Graphic, 10 euros au lieu de 18 euros.

- Histoires Extraordinaires, 64 pages, Vertige Graphic,10 euros au lieu de 18 euros.

 
Goodnight, sweet prince
 
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Le chantre de la Fantasy moderne s'est éteint hier à 82 ans. Ses sublimes peintures de science fiction et de fantasy continueront d'orner des intrigues souvent incapables de rivaliser avec la qualité de ces couvertures. R.I.P Frank Frazetta.

À AAAPOUM, on a notre Conan. Il s'appelle David Doukhan, c'est un ami qui bosse pour Mad Movies, musclé comme un schwarzi par intermittence, quand il n'est pas blessé pour 2 ans. Voici ce qu'il dit de Frazetta sur Facebook, je ne vois guère plus bel hommage :

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"Alors oui, j'ai entendu beaucoup de niaiseries du type : “ah oui le mec qui dessine des gros muscles avec des filles à poil". Ils sont nombreux ceux qui ne voyaient dans son travail que l'expression des symboles directs de la puissance des forts, un étalage vulgaire et violent . Ceux-là m'ont toujours amusé. Ils n'ont jamais voulu extraire la vision qu'ils avaient de l'œuvre de leur propre cosmogonie. Frazetta était loin de ça... Oui les hommes sont athlétiques car ils vivent dans un monde physique et brutal, leur corps et à l'image de leur environnement."

 
Séquence d'anthologie : Hombre de Ortiz et Segura
 

Il y a des fans de Torpedo.

Moi je n'aime pas ce cynisme affiché qui me donne l'impression d'être dans la cour de récré de Sciences Po.

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Moi je préfère Hombre du duo espagnol Ortiz (dessin) et Segura (scénarii). Hombre c'est le retour de l'aventure alors que tout semblait fini. Hombre c'est un survivant qui se croit revenu de tout mais qui se fait encore avoir, car il est resté humain, c'est-à-dire perméable à la souffrance et à l'amour.

L'intégrale  de Hombre, publiée en 1997 chez Soleil et regroupant les cinq tomes couleurs est toujours en vente chez nous, en bon état pour la somme de 55 €.

 
Micheluzzi et les tons intermédiaires...
 

Dans la brume tous les chats sont gris

Attention, ci-après la démonstration que nous sommes des commerçants pratiquant une forme supérieure de retape : nous vous donnons une chance d'échapper à nos suggestions d'achats en n'hésitant pas à souligner certains défauts des objets de nos engouements.

Cela ne manque pas d'ironie. Voilà un maître du neuvième art — Attilio Micheluzzi — un majestueux conteur qui n'hésite pas à traîner ses personnages dans la boue des civilisations, un scénariste malicieux qui dépeint des caractères ambigus et des situations inattendues et incertaines, un subtil dessinateur au pinceau aérien, qui a précisément des difficultés pour transcrire les tons intermédiaires entre le noir et le blanc. Pourtant dans Marcel Labrume (un nom qui est un programme de l'indistinct) il essaie sans cesse d'atténuer le constraste caniffien (NDLR : de Milton Caniff, quoi), sur lequel il a bâti son style, à l'aide de tactiques diverses : petits points pour les collines lointaines... hachures diverses... croisillons. Aucune ne me paraît satisfaisante, surtout dans la première partie, ou d'abondants croisillons malhabiles semblent faire du remplissage hâtif des surfaces nocturnes.

En lisant ces planches je réussis à m'extraire de leur captivante intrigue grâce à la résurgence opportune d'un souvenir de cours de fac. Il y a une quinzaine d'années, je me souviens que le sarcastique Séra, qui élargit mon horizon bédéïque comme celui de tas de couillons d'étudiants parisiens, répétait devant nos planches tâtonnantes : “les hachures croisées, ça ne sert qu'à une chose : à représenter des grillages !“.

Bon sans déconner, je vous attends demain soir pour discuter de tout ça entre autres.

En plus les planches que Madame Micheluzzi nous a très gentiment prêtées (grâce au pouvoir de persuasion de Michel Jans) sont splendides et parfaitement dénuées de remplissage. À pleurer si on n'était pas de vrais hommes plein de morgue, ayant endossé une panoplie de solitaire élimée par les vents du désert.

Marcel Labrume, Éditions Mosquito, 150 pages d'aventures, d'espionnage, de guerre, d'amours interrompues, de regrets sans repentirs. Tout ça en noir et blanc et pour 20 €.

 
WALT & SKEEZIX... ou la découverte d'un classique.
 

Le paradis n'existe pas.

Par Stéphane

Connaissez-vous Sunday PressBooks, ce petit éditeur américain qui fait des livres gigantesques ? De cette maison, les Français connaissent surtout les deux Little Nemo, au format original de publication, puisqu'ils sont traduits chez Delcourt. Mais aux États-Unis, Sunday Press Booksaffiche quelques classiques méconnus à son catalogue. Personnellement,j'achète tous leurs livres sans réfléchir, principalement parce que jereste un sale gosse émerveillé par le papier d'emballage plus que parle jouet (dans le métier on appelle ça "un collectionneur").

Récemment,il me prit l'idée saugrenue de lire l'un de leurs livres, achetécompulsivement il y a deux ans, sans même prendre le temps de merenseigner sur ce qu'il renfermait. L'ouvrage était majestueux, avecune belle jaquette jaune pâle, et cela m'avait suffit. De surcroît, siun professionnel passait par hasard à la maison, pour prendre un thé ouautre, je savais que ça en jetterait grave niveau culture, vu  quec'est vieux, qu'on ne peut pas le ranger, et qu'il se repère couché parterre à des mètres de distance : la caution idéale de mon éruditionsupposée. 

Bref, je n'avais que de mauvaises raisons d'acheter ce bouquin au format

coffée table.

Maislors d'un après-midi calme, alors qu'il disparaissait lentement sousune couche de poussière, il m'est venu l'envie de le feuilleter. Pasforcément en entier, mais au moins les premières planches,pour voir, et paraître moins con si on venait à me questionner à sonsujet. Je ne l'ai pas lâché, prenant une volée de claque, splendide,drôle, et plus encore... émouvante.

Walt and Skeezix, plus connu encore sous le nom de Gasoline Alley, est devenu l'une des meilleuresbandes dessinées que j'ai lue de ma vie. L'histoire est simple, elle conte lequotidien d'un célibataire dans une petite banlieue américaine, à l'époque oùl'automobile apparaît. Chaque page, c’est le concept du comic strip,  est un récit court et quotidien, une aventure amusante. Jusqu'au jour où, le 14 février 1921, Waltrentre chez lui et tombe en chemin sur un nouveau-né, qu'il adopte. Lelendemain, la vie reprend son court, naïve, douce, enchanteresse, un orphelinen plus dans l'arrière-plan. 

Ce qui fait de cette bande dessinée un chef d'œuvre,c'est que les années passent, et l'enfant grandit. Skeezix, en effet, vieillitau même rythme que ses lecteurs, apprend à parler, à lire, fait des bêtises etpart à la guerre lorsque la seconde guerre mondiale éclate.

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Jen'en suis pas encore à cette époque, et d'ailleursle livre de Sunday Press Books ne va pas jusque là. Il compile les plusbelles planches couleurs du dimanche sur une quinzaine d'années, entre1921 et1936. On y voit le plus souvent les deux personnages sillonner le paysenvoiture, fuir une civilisation déjà oppressante, et s'ébaudir duspectacle dela nature, miraculeux de par sa simplicité. Rien ne s'y passe, oupresque rien.Le danger n'existe pas, ou peu. La vie est douce, le dessin rond, lacouleur chatoyante. Saufqu'un orphelin arpente les cases ; pire, il change à chaque page. Biensûr, il n’estplus jamais fait mention de ces deux conditions (l'abandon et levieillissement, l'âpreté de la vie et la mort), mais voir Skeezixdéambulernaïvement aux milieu de ce paysage idyllique, de cette fable sansmenace, estcomme un caillou de réel dans la chaussure du paradis. Sa présencetémoigne par nature de la fragilité, de l'éphémère, de l'imprévu, et nourrit unepeur lancinante, alors que plus rien ne donne de raisons de s'inquiéter.

Sans jamais conter autre chose que le bonheur d'unevie anodine, ou presque, Frank King en dit plus sur la mélancolie et surl'angoisse de vivre que quiconque. C'est parce qu'il n'est jamais prononcé,qu'il gronde silencieusement sous l'apparence d'un gentil bambin plein defougue et d'inventivité, que ce mal de vivre est tout simplement écrasant.

Lire Walt andSkeezix, c'est sentir des larmes qui montent sans raisonapparente, sansdeuil prononcé, sans drame, se retrouver sous une chape écrasantequoique invisible.D’ailleurs, il suffit de séparer les deux héros quelques secondes poursentirleur détresse, la fin du monde venir. L'on pourrait se dire : "quelleschochottes que ces deux-là, à paniquer dès qu'ils se perdent de vue."Mais croyez-moi,on ne le dit jamais. On a peur avec eux car Skeezix, plus qu'unpersonnage, un symbole ou une preuve, est un aveu. Celui d'un auteur-et on peut les croire sur ce sujet- qui sait que même le rêve le plusdoux ne suffira jamais à conjurer totalement l'horreur de la réalité.

Ce qu’il faut savoir d'autre sur Gasoline Alley (lien wiki): C’est la bande dessinée préféréede Chris Ware, et d’ailleurs les parallèles entre les deux œuvres apparaissent très nombreux.

Ce qu’il faut savoir sur Sunday Press Books : leurs livres sont en anglais,magnifiques, et si le prix n’est pas donné, il demeure très raisonnable enregard de la qualité. Tous leurs livres sont à vendre en magasin.

 
Les Guerilleros de Jesús Blasco
 

Un méridional exubérant

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Dans cet album de 1980 reprenant en noir et blanc deux histoires complètes jadis publiées en couleurs dans le journal de Spirou à la fin des années soixante, on rencontre un pistolero nommé Ray Walker. C'est le héros. Il porte un tout petit chapeau et, à la façon dont il noue le ruban qui lui serre  le col, on peut supposer que pendant la guerre de sécession il devait être sudiste.

C'est bien connu, contrairement aux yankees, les rebelles ont toujours apprécié la fioriture vestimentaire. Ainsi il porte son colt la crosse en avant. De surcroit son holster est tantôt sur sa hanche gauche, tantôt sur la droite...L'acolyte de Ray est un jeune apache nommé Yuma. Comme tous ceux de son espèce qui ne forcent pas trop sur la bouteille, Yuma est un fin pisteur et il a du flair. Dans les deux aventures qui nous occupent les deux compères ont affaire à un sacré loustic : Don Pedro Alvarado de Guzman, un mexicain roublard et pochtron, mais terriblement attachant, un peu à l'image de son contemporain Tuco, le "truand" joué par Eli Wallach dans Il buono, il brutto, il cattivo de Sergio Leone.

Comme souvent quand le héros est un type insipide sans peur et sans reproches, confit dans ses certitudes et son machisme, ce sont les personnages secondaires qui portent le récit. Don Pedro est parfait : il met en péril les héros sans être vraiment méchant, il leur donne un coup de pouce sans être vraiment gentil. Surtout il est drôle et flamboyant et se montre tout à la fois grotesque (rampant en pyjama dans les joncs) et magnifique (mettant en déroute les sales types, insouciant de la mitraille sous l'effet euphorisant de l'alcool).

Tout ceci ne serait rien sans le trait de pinceau vif et généreux de l'espagnol Jesús Blasco, qui, s'il fut fameux de l'autre côté des Pyrénées, est resté quelque peu dans l'ombre par ici, excepté pour les amateurs de petits formats et de "bandes dessinées insolites", car il œuvra beaucoup pour la très étrange série anglaise Main d'acier (Steel Claw).

Il serait très regrettable que nos clients et lecteurs se privent de ce bon western, magnifiquement dessiné, alors qu'il ne coûte que 8€ dans notre librairie...

Ce qui pour un bouquin de presque trente ans et tiré seulement à 2100 exemplaires, est une affaire aguichante.

 
Des monstres de L'éternaute à ceux de Lovecraft
 

"L'horreur indicible surgissant des tréfonds innommables..."

Je ne sais pas trop pourquoi mais, sans vérifier les dates, j'étais convaincu que Breccia avait dessiné L'Éternaute après Les mythes de Cthulhu... Et jusqu'à hier je montrais aux clients combien son travail sur L'Éternaute portait les traces de son travail sur l'indicible lovecraftien.

C'est à la lecture d'une note enthousiaste d'un amateur argentin (Historieteca) saluant la nouvelle édition transatlantique de Los mitos de Cthulhu que je me rends compte de mon erreur. Ainsi Breccia trouva dans l'adaptation de Lovecraft le terrain idéal pour poursuivre des défis artistiques et des questionnements qui lui étaient propres. Davantage qu'une filiation amoureuse, cette liaison entre le dépressif de Providence et l'angoissé de Buenos Aires tient dans l'emploi de l'œuvre du premier comme tremplin créatif par le second. Vision qui semble confirmée par ces propos tenus par Breccia en 1985, lors d'un court entretien avec T. Groensteen :

"En tant que lecteur, la littérature fantastique ne présente pas d'attrait particulier pour moi. Elle m'intéresse comme source d'inspiration pour mon travail, car elle permet d'épanouir mon style dans différentes directions, en dépassant le stade du réalisme".in Les Cahiers de la Bande Dessinée n°62

Nous éclairant encore plus précisément sur son travail, voici une autre citation d'une interview de Breccia, réalisée en 1989 reprise tant dans l'édition argentine que l'édition française (seconde édition, augmentée, Rackham, 2008) :

"Je me suis très vite rendu compte que le langage traditionnel de la Bande dessinée ne pouvait rendre compte de manière satisfaisante de l'univers de Lovecraft, si bien que j'ai commencé à expérimenter de nouvelles techniques, comme le monotype ou le collage. Ces monstres informes, semblables à ceux que j'avais dessinés dans L'Éternaute, sont faits ainsi parce que je ne voulais pas imposer au lecteur ma propre vision ; je voulais que chaque lecteur ajoute quelque chose de personnel, qu'il utilise la base que je lui fournissais pour la vêtir de ses propres craintes, de sa propre peur. Au début c'était presque un défi : je voulais vérifier si je serais capable de dessiner ce que Lovecraft avait décrit. Je ne sais pas si j'y suis parvenu, mais je peux certifier que durant les presque trois ans que j'ai mis à réaliser ce travail j'ai vécu complètement immergé dans son monde."

Il faut ici saluer l'initiative du très lovecraftien et talentueux Rotomago (Nyarlathotep, U-29 : tous deux chez Akileos), qui a ouvert il y a peu un site bibliographique trilingue consacré à Alberto Breccia :http://albertobreccia-bibliografia.blogspot.com/

L'Éternaute d'Oesterheld mis en images par Breccia, édité par les humanos (1993), est toujours disponible chez AAAPOUM BAPOUM (PVP 25€), profitez-en...

 
Quelques questions à Pascal Thomas
 

Pascal Thomas, le réalisateur des Zozos (1972) et très récemment de Le Crime est notre affaire, a co-écrit la cultissime BD Pravda la survireuse (1968) avec Guy Peellaert disparu il y a peu. La trop courte interview qui suit était destinée au magazine Zoo n°17, mais faute de pages disponibles elle fut retirée du sommaire. C’est donc le Aaablog qui accueille ce précieux témoignage sur la création d'une œuvre majeure du neuvième art.

Dans quel contexte est née Pravda lasurvireuse ?

Pascal Thomas : Àl’époque, j’étais un jeune journaliste, notamment pour Elle et pour Lui. Je rencontrais fréquemmentGébé, Reiser, Topor, Guy Peellaert. On se retrouvait à La Coupole. Il était un peu plus vieux que moi, mais nous étions tous les deux très cinéphiles, très amateurs du cinéma américain des années cinquante. J’avais déjà interviewé Hitchcock, Billy Wilder, William Wyler... Nous étions tous deux admiratifsdevant les Walsh, Fuller, sans oublier Jacques Tourneur... Ah... Laflibustière des Antilles... C’était le Hollywood d’avant la décadence. J’étais aussi féru de la BD américaine de « l’Âge d’or »... Red Ryder, Prince Valiant, Le Fantôme... Je collaborais à la revue de BD Giff-Wiff, dirigée par Lacassin. J’y officiais sous divers pseudonymes (Gilles Arnold, Nelly Richard...)et j’en étais une sorte de « financier ». 

Peellaert voulait qu’on fasse une histoire ensemble, plus libre et provocante que Jodelle, qu’il trouvait trop « mièvre ».

Comment travailliez-vous ?

On discutait, la trame se faisait au jour le jour. Noussouhaitions une narration moderne. Nous ne pensions pas à une histoire dans sacontinuité, mais plutôt à des séquences flamboyantes... Beaucoup de planchesont été dessinées du côté de ce qui est maintenant « Beaubourg »,chez André Ruellan, médecin qui écrivait de la SF sous le pseudo de KurtSteiner. Il soignait les prostituées du coin. Les premières lectrices de Pravdafurent des putes ! Il y en avait une qui était magnifique... Comments’appelait-t-elle déjà ? Ah oui : « Nathalie-en-noir » !Elle en a rendu dingues plusieurs ! C’était un quartier très vivant, avecles maraîchers, les imprimeurs... Je vois encore Guy travailler ses planches àmême le sol. Il y avait toujours du monde qui passait nous voir... On ne peutpas dire que c’était une œuvre enfantée dans le recueillement !

Pourquoi avoir donné à votre héroïne le physique deFrançoise Hardy ?

C’est Peellaert qui le voulait. Mais on en a fait quelqu’unde plus... dynamique. D’où la moto-panthère.

Ce nom formidable « Pravda la Survireuse », commentest-il né ?

Guy voulait un quelque chose qui exprime « la vérité denotre époque », donc j’ai proposé « Pravda ». « Survireuse » vient d’une publicité d'alors qui vantait lesmérites « survirants » de certaines voitures...

Comment Henri Chapier s'est-il retrouvé à préfacer le livre ?

Ah ça... je ne sais plus trop. Je crois que c'était une idée à Losfeld (l'éditeur).

Aviez-vous conscience de créer une BD culte ?

Pas du tout ! On s’amusait, c’est tout ! Pravdan’était pas le produit d’un processus laborieux. D’ailleurs la BD contemporainene m’intéresse pas... On y sent tellement d’efforts ! Nous, nous voulionsjuste fixer un état mythique de l’Amérique. Nous amuser avec nos références. Dela même façon, quand quelques années après j’ai réalisé Les Zozos, en souhaitant relaterun état de l’adolescence dans le monde des années cinquante,les touts débuts de la mixité, mon expérience personnelle... Je ne m’attendais pas à ce que ça fasse deuxmillions d’entrées. Personne ne s’y attendait. Avant j’étais dans les bords...on ne me prenait pas trop au sérieux.

Propos recueillis au téléphone, le 17 décembre 2008.

 
L'Eternaute de Solano López et Oesterheld
 

Un monument de la Science-fiction

Scandale : un gros morceau du patrimoine mondial de la BD a atterri dans nos échoppes pendant que j'étais en vacances et il n'y en a eu aucune mention en ces pages !

Depuis plus d'une semaine vous pouvez acheter chez nous (et ailleurs) la plus célèbre des bandes dessinées argentines !!! 51 ans après son achèvement ce monument de la science-fiction a enfin été traduit en français[*].

Et ceci grâce aux éditions Vertige Graphic ! Aaapoum Bapoum ne pouvait passer à côté d'un tel événement.

Nous avons toujours été friands de la bande dessinée du Rio de la Plata, et que ce soit par hasard ou par choix délibéré, nous avons toujours réussi à en fournir à nos clients. C'est donc avec grand plaisir que nous vous incitons à découvrir cette "nouveauté".

L'histoire :

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Imagine que tu es en train de passer une soirée tranquille avec des amis... Tu joues aux cartes en buvant un verre, bien au chaud. C'est une longue soirée d'hiver idéale, les rumeurs belliqueuses du monde et les catastrophes écologiques sont bien étouffées par le confort de ton pavillon et par la solidité de tes fenêtres... Mais voilà que l'obscurité se fait... Une panne électrique ? Dehors une étrange neige s'est mise a tomber dans un silence inquiétant... Une neige phosphorescente... Vous vous approchez de la fenêtre pour constater que la vie s'est arrêtée... Les voitures sont stoppées... les passants gisent sur les trottoirs.

Comme toi et tes potes vous êtes loin d'être cons et plutôt scientifiques, vous faites vite le lien entre ces morts et la neige mystérieuse.

L'histoire commence donc comme un survival en lieu clos. Comment survivre dans un environnement hostile post-apocalyptique ? Comme Oesterheld le fera dire à ses personnages, c'est une variation sur le mythe de Robinson. Le pavillon de banlieue, refuge au milieu d'un océan de mort. Les héros se rendent pourtant vite compte qu'ils ne sont pas les seuls survivants, mais dans ce monde de pénurie, l'entraide semble avoir disparu et la menace extérieure évoque fortement une thématique sur laquelle le cinéaste John Carpenter brodera de nombreuses variations.

Le pire étant à venir : la neige mortelle n'était que la première étape de... l'invasion d'une invincible armada extraterrestre. La suite (extrêmement inventive) de l'histoire ravira les amateurs de récits de guerre désespérés où la dimension tactique est centrale.

Le contexte :

Les près de 350 pages de la saga de El Eternauta furent publiées pendant deux ans (1957-1959) dans la revue hebdomadaire argentine Hora Cero suplemento semanal. Cette revue de 16 pages imprimée en noir et blanc (sauf la couverture en trichromie) était de format à l'italienne. 

L'Éternaute en fut la série la plus populaire, depuis le n°1 (mercredi 4 septembre 1957) jusqu'au n°106. La revue ne survivra pas plus de 10 numéros après la fin de la saga. Néanmoins pendant 2 ans les Argentins se passionnèrent pour les mésaventures des survivants et leur combat contre l'envahisseur. On peut facilement imaginer qu'à cette époque où la télévision était un luxe, cette revue bon marché et de qualité régnait sur les rêveries des lecteurs, attendant impatiemment la suite... Ce feuilleton apocalyptique avait le bon goût de se dérouler dans un contexte famillier (les rues mêmes de Buenos Aires) et d'être en écho avec les angoisses de son époque.

Et "le Breccia" alors ?

Cette série eut un tel succès que Hector Oesterheld ne résista pas à la tentation d'en scénariser lui-même le remake dix ans après pour la revue Gente.

Cette fois-ci c'est son compère Alberto Breccia qui se charge de la partie graphique. La situation de l'Argentine ne s'étant guère améliorée, la junte toujours au pouvoir et les tensions s'exacerbant, Oesterheld semble se radicaliser en même temps que le mouvement social et ce nouvel Éternaute s'en ressent. Le graphisme fantasmagorique et suggestif de Breccia s'y déploie magnifiquement et exacerbe les tonalités résolument plus sombres et pessimistes du scénario.

Nous reviendrons sans doute dans une note ultérieure sur les différences entre les deux œuvres, ainsi que sur les nombreuses suites et variations que la saga engendra. La "version Breccia" fut éditée en france par les Humanos en 1993... épuisée depuis longtemps, on la trouve encore chez... Aaapoum Bapoum !

L'objet :

Mais revenons à la nouveauté, le Solano López. Les éditions Vertige Graphic ont fait un long travail de recherche pour nous présenter une édition réalisée d'après les planches originales. Si une vingtaine d'originaux sont demeurés introuvables, la plupart des pages de la présente édition offrent une bel écrin au dessin précis de Francisco Solano López. Vertige Graphic publiera en trois volumes l'intégralité de L'Éternaute.

Le deuxième devant paraître en mars. En attendant, les 128 pages du premier tome sont fort denses et devraient vous tenir un moment en haleine. 20 €.

[*] Étant un ignare qui cherche à se soigner, je découvre après avoir écrit cette note que L'Éternaute semble déjà avoir été publié en France dans le petit format Antarès (éditions Mon journal) au début des années 80, du n°38 à 54, sous le nom de L'Ethernaute... Ne les ayant pas, je ne saurais dire si cette édition fut complète ni quelle en fut la qualité. La revue Antarès n'étant pas a l'italienne, on peut craindre un remontage déplaisant.

 
Kubert (3) : Sergent Rock, Anthologie 1 chez Soleil
 

Le triomphe de la volonté

Non, Sergent Rock n'est pas une série racontant la guerre du Vietnam, comme le croyait un de mes associés que je ne dénoncerai pas, quoiqu'il l'aurait bien mérité.

Non, Sergent Rock n'est pas une série antimilitariste se déroulant en Corée, comme le racontait un client docte à un de ses amis.

Oui, Sergent Rock raconte les aventures de la Easy Company, ces braves soldats Américains venus libérer l'Europe de la botte germaine. Oui exactement les mêmes que dans l'efficace série télé Band of Brothers.

C'est donc une série DC comics créée en 1959 (d'abord sous le titre de Our Army at War) par Bob Kanigher sur laquelle a œuvré une belle brochette de dessinateurs : Ross Andru, Russ Heath, John Severin...

Mais c'est surtout l'excellent Joe Kubert qui lui donna ses galons.

Sans être antimilitariste, la série ne cherche pas à masquer l'horreur de la guerre. Davantage que l'apologie de l'obéissance et de la hiérarchie, le titre et sa galerie de personnages défend le triomphe de la volonté humaine et de la chair contre les tonnes d'acier roulants. L'affirmation de la singularité et de la dignité de chaque être humain est donc la clé de ces planches, et non l'observation historique stricte de la Seconde guerre mondiale. Axées sur les personnages, les séquences tactiques sont ainsi rigoureusement décontextualisées. Pourtant, on se prend assez vite à s'attacher à ces combats, dynamisés par un récit à la première personne.

Alors évidemment, les éditions Soleil ne publieront jamais la suite de cette "Anthologie 1", qui promettait de réunir enfin la saga initialement publiée en France dans une galaxie de petits formats d'histoires de guerre, jadis très populaires...

Vous croyiez quoi ? Que Monsieur Boudjellal allait plomber sa tréso pour une poignée d'archivistes loqueteux ? Fallait l'acheter à sa sortie les gars, pour leur montrer qu'on en avait dans le ventre et qu'on était des milliers à suivre potentiellement la série, leur montrer que l'entreprise était rentable ! Las...

L'Anthologie 1 et ses successeurs fantômes furent éradiqués du catalogue Soleil. L'avantage, c'est évidemment toujours le même, c'est la litanie des mes présentes notules :

Vous pouvez donc trouver chez AAAPOUM BAPOUM ce livre à un très bon tarif :

14,90 €

au lieu des 28,50 € initiaux. Hardi, boys ! Vous m'en mettrez deux pour Noël : un pour mon père et un pour mon oncle.

Sgt. Rock :

anthologie 1, 168 p., noir et blanc,  album cartonné sous jaquette avec une préface de Joe Kubert, Soleil, 2004.

Article publié le 13 décembre 2008

Dans nos archives, vous pouvez également lire :

Joe Kubert (1) : face au Viet-công

Joe Kubert (2) : Abraham Stone